Le tube du siècle
Né en 1891 et originaire de la province de Pistoia en Toscane, Ferdinando Innoncenti est fils de forgeron. A l'issu de ses études techniques, il ouvre dans les années 20 plusieurs ateliers de métallurgie spécialisés dans la vente de tubes en fer et de produits dérivés. Dans les années 30, il met un point un procédé révolutionnaire dans le montage des échafaudages, breveté sous le nom tubo Innocenti, qui permet un montage et un démontage rapides. Très vite, c'est un immense succès et la fortune. Ses bons réseaux lui permettent d'obtenir de gros contrats de travaux avec le pouvoir, qu'il s'agisse de la construction du réseau d'irrigation des Jardins du Vatican, l'agrandissement des tribunes des stades pour la coupe du monde de 1934 ou des grands travaux ostentatoires du régime fasciste. Finalement, la société Innocenti prend ses nouveaux quartiers dans l' immense usine de Lambrate, à Milan, d'où les tubes Innocenti sont exportés dans le monde entier.
Sa coopération avec les Alliés à partir de 1943 lui permet de garder la main sur ses usines mais, dans l'Italie de l'après-guerre, il faut trouver de nouveaux débouchés pour la société. Les besoins en mobilité sont immenses et se démocratisent en direction des classes populaires, qui n'ont toutefois pas encore les moyens de se ruer sur les automobiles. Innoncenti flaire le coup et décide de concurrencer Piaggio et son iconique Vespa en lançant son propre scooter, le Lambretta, du nom de l'usine milanaise d'Innocenti. Bien conçus et fiables, les scooters Lambretta se taillent une solide réputation.
Toutefois, la société est réactive et désireuse de s'adapter aux évolutions du marché. A la fin des années 50, le miracle économique italien est arrivé. La population voit ses revenus augmenter et les désirs de consommation se tournent désormais vers les automobiles, symboles absolus de réussite sociale. Les ventes de scooter stagnent et le fils de Ferdinando, Luigi, ambitionne de se lancer dans la production automobile. Des études sont menées sur une petite berline mue par un moteur de 400cc mais le patriarche, rattrapé par l'âge et la maladie, n'est pas très enthousiaste : pas question de rivaliser directement avec le géant FIAT, qui domine sans partage le marché national et qui de surcroît est un bon client d'Innocenti pour les machines hydrauliques. Pas question de se mettre à dos un tel mastodonte !
British connection
En 1959, Innoncenti se lance donc dans l'aventure auto par le biais de fabrications sous licence de modèles étrangers. Un accord est trouvé avec les anglais de la BMC, qui souhaitent préserver une activité commerciale en Europe mais sont fortement pénalisés par le taux de change de la Livre Sterling et les restrictions douanières. La solution est donc de céder sous licence la fabrication à un producteur implanté à l'étranger dans le marché visé. L'accord est conclu en 1960 pour 7 ans. Au Salon de Turin 1960, l'histoire débute donc par la présentation de l'Innocenti A40, qui est issue de l'Austin A40 Farina (dessinée en effet par Pininfarina, qui se nommait encore Stabilimento Farina à cette époque), complétée par une version cabriolet nommée 950S, dessinée par Ghia et un break "Combinata" en 1962. L'accord est assez contraignant, en ce sens qu'Innoncenti ne peut pas exporter ses modèles et ne peut effectuer de modifications sans l'accord formel de BMC.
Malgré tout, les premières Innocenti rencontrent un certain succès et l'accord se poursuit avec la mise en production, à partir de 1963, de la IM3 (pour Innocent-Morris) qui est le clone transalpin de l'Austin-Morris 1100/1300, plus connue sous le nom "ADO 16". Innocenti se démarque cependant. Si l'ensemble châssis-moteur vient d'outre-Manche, les italiens retouchent le reste de la voiture pour lui donner un côté bien plus "premium", avec des modifications esthétiques (notamment des phares et une calandre revues par Pininfarina), un moteur plus puissant et une finition intérieure nettement plus soignée.
Mini Italia
Rebelote en 1965, quand le petit constructeur milanais entame la production d'une petite star, la fameuse Mini. Là encore, bien que les mécaniques soient anglaises, Innocenti y appose sa touche personnelle avec des finitions de carrosserie de meilleure facture et des inserts en bois dans l'habitacle dont la Mini anglaise était dépourvue. La version Cooper est également assemblée, avec des freins plus performants. Jusqu'en 1975, plus de 400.000 exemplaires sont fabriqués, une belle réussite !
En 1966, Ferdinando Innoncenti décède et son fils Luigi prend la relève. Ambitieux, il souhaite défaire la marque de la tutelle britannique et lance des études, en coopération notamment avec Bertone, pour lancer un nouveau modèle 100% maison, mais les limites financières du groupe, des problèmes de santé et le contexte socio-politique très compliqué de la péninsule l'obligent à vendre. British Leyland remporte la mise en 1972, ce qui donne naissance à l'entité Leyland-Innocenti. Malheureusement, cette nouvelle aventure ne débute pas sous les meilleures auspices avec l'Innocenti Regent, version italienne de l'Austin Allegro. Pas très bien dessinée et plutôt chère pour des caractéristiques techniques très moyennes, elle fait pâle figure face aux Fiat 128, Alfa Romeo Alfasud et autres VW Golf (apparue en 1974) qui la ringardisent vite. C'est un bide clair et net.
L'ère De Tomaso
En 1974, un nouveau modèle est censé redresser la barre. C'est la Mini 90/120, dessinée chez Bertone par Marcello Gandini en personne. Certes, la base mécanique est datée mais le coup de crayon fonctionne. Entre temps, British Leyland fait faillite et, avec l'aide de l'état italien, Innocenti passe entre les mains d'Alejandro De Tomaso, bien connu pour sa marque de voitures de sport. Sous l'impulsion du nouveau propriétaire, la Mini Bertone monte en gamme avec de meilleures finitions, dont la fameuse "Mille" qui se pare de velours, de moquette épaisse et même de vitres électriques teintées, une grande première sur ce segment.
Enfin, en 1982, on tourne le dos aux vieilles mécaniques anglaises d'origine. DeTomaso se procure un...3 cylindres Daihatsu de 995cc, qui vaut à la Mini Bertone d'être rebaptisée MiniTre. AU cours des années 80, la gamme se développe avec une version diesel, une version automatique, une version 650...bicylindre très économe en carburant, une "Mini 900" rallongée, une "Mini 500" (oui !) et aussi une...Mini Turbo De Tomaso de 71 chevaux, avec le mot "Turbo" écrit en gros sur le coffre arrière, comme sur la R5. En tout, plus de 350.000 exemplaires de cette Mini Bertone/De Tomaso sortent des chaînes. Pas mal !
FIAT ou la fin brutale
Toutefois, tout bascule en 1990, quand DeTomaso cède Innocenti (et Maserati) ainsi que l'outil industriel au groupe FIAT. Les Mini 500 et 900, rebaptisées entre temps "Small 500" et "Small 900" sont produites jusqu'en 1993 mais les projets de remplacements sont remisés au placard. On avait songé un temps à équiper les "Small" de moteurs FIRE, puis la priorité est donnée au lancement de l'Autobianchi/Lancia Y10. Très vite, Fiat utilise le nom Innocenti à d'autres fins, à savoir rebadger en Italie des modèles "low cost" importés comme la Koral, qui était en fait la fameuse Yugo 45 du constructeur serbe Zastava ou la nouvelle Mille qui était la Fiat Uno fabriquée en Pologne et au Brésil. On peut imaginer aussi que Fiat n'avait pas intérêt à relancer des modèles qui avaient pu faire un peu d'ombre aux Autobianchi A112 et autres Fiat Panda dans les années 80.
L'usine de Lambrate ferme ses portes en 1993 puis est rasée pour faire place à des logements, conformément au nouveau plan d'urbanisme de Milan qui souhaitait repousser vers l'extérieur les nouveaux sites industriels et reconvertir les anciens sites implantés en zone urbaine vers du résidentiel.
Source et images : automobile sportive, wikipedia, carsfromitaly