Allez les bleus
Ligier, c’était un peu les irréductibles français dans un univers F1 très anglo-saxon, une version motorisée d’Astérix chez les Bretons, avec aussi quelques "romains" coriaces tels que Ferrari et Alfa Romeo. Trêve de plaisanterie, malgré l'engagement de Renault en tant que constructeur entre 1977 et 1985, les « Bleus » avaient une immense popularité et faisaient quasiment office d’écurie nationale avec des champions bien de chez nous, comme l’emblématique Jacques Laffite, et un confortable budget apporté par des entreprises nationales, comme la Seita, Gitanes, Elf puis la FDJ. L'entreprise était bien aidée par les amitiés politiques de Guy Ligier, surtout avec François Mitterrand, ce qui permet à l’ancien rugbyman d’avoir des facilités pour installer ses quartiers à Magny-Cours, dans la Nièvre ou même d’avoir le V6 Turbo Renault en 1985. Pourtant, malgré son aisance financière, l’écurie décline à partir du milieu des années 80, alors que les constructeurs exacerbent la course aux armements et que la technologie fait un grand bond en avant. Renault se retire fin 1986, c’est la valse des pilotes mais aussi des directeurs techniques et des moteurs (Alfa Romeo puis les poussifs Megatron, Judd, etc.) à la fin de la décennie. L'écurie recule année après année dans les tréfonds du classement.
L'objet de nombreuses convoitises
Au début des années 90, Ligier fait des pieds et des mains pour récupérer le redoutable V10 Renault et conserver ses appuis financiers, mais l’absence de résultats commence à faire grincer des dents jusqu’en haut lieu, surtout en ces temps de crise économique où l’argent « dilapidé » en F1, sans résultats derrière, passe de plus en plus mal. En 1992, l’écurie française obtient enfin le V10 français (merci Tonton) mais après une nouvelle saison décevante, Guy Ligier choisit de prendre du recul. Plusieurs projets de rachat émergent car Ligier est très convoitée. Paddock et médias se passionnent pour le "feuilleton" Alain Prost, en pleine année sabbatique après son éviction de Ferrari mais tenté par l'aventure du "paton-pilote". Le professeur teste la monoplace et discute d'une prise de participation. Ron Dennis, le boss de McLaren, qui lorgne aussi sur le V10 Renault, envisage de mettre la main sur les bleus. Tout cela tombe finalement à l’eau, et l’équipe est reprise par l’homme d’affaires Cyril de Rouvre qui s’était investi dans AGS auparavant.
En 1993, grâce à un partenariat technologique avec Williams qui fournit l’antipatinage et sa boîte semi-automatique, une bonne paire de pilotes anglais (Martin Brundle et Mark Blundell) et le V10 Renault, Ligier reprend du poil de la bête et signe quelques podiums, terminant 5e du championnat sur les talons de Ferrari. Mais nouveau coup dur : Cyril de Rouvre est rattrapé par la justice pour malversations financières , ce qui le pousse vers la sortie. En 1994, Ligier, perturbée durant l’hiver par les démêlés judiciaires de son patron, retombe dans la hiérarchie et souffre d’un manque de développement. Elle ne devra ses quelques points qu’à la miraculeuse hécatombe d’Hockenheim qui permet à Panis et Bernard de terminer 2e et 3e.
Ligier happée dans le système Briatore
Plusieurs projets de reprise sont en concurrence, mais c’est finalement Flavio Briatore qui remporte la mise, avec de solides garanties financières et l’appui de Bernie Ecclestone, qui veut que Renault motorise une 2e équipe de pointe pour relancer le show. Mais l’intention du manager italien est la même que celle qui avait motivé Ron Dennis : en récupérant Ligier, il met la main sur le contrat du V10 Renault ! Ligier devient d’office l’écurie « bis » de Briatore, dont la priorité est de faire de Benetton la rivale de Williams. Renault ne peut refuser une telle opportunité et Ecclestone se frotte les mains pour le show.
En 1995, la Ligier, copie conforme de la Benetton, récupère donc le moteur Mugen-Honda (lui-même chipé à Minardi, dont Briatore est devenu un actionnaire !) et obtient encore quelques résultats honorables avec Olivier Panis et Martin Brundle. Au cours de l’hiver 95-96, l’écurie subit une restructuration drastique qui ne fait pas dans le détail avec de nombreux licenciements et surtout une activité en partie transférée vers l’Angleterre, dans les installations de Tom Walkinshaw. L’acolyte de Briatore avance ses pions et se verrait bien récupérer le savoir-faire de Ligier au profit de sa structure TWR, mais es manœuvres financières opaques commencent à faire des remous.
Il faut sauver le soldat Ligier
Guy Ligier s’émeut de la « dénationalisation » de sa création et sollicite l’aide du gouvernement français. Jacques Chirac, grand amateur de F1, s’en mêle pour sauver l’identité française de Ligier et veut mobiliser son gouvernement autour d’un projet de grande équipe tricolore. Les rumeurs se multiplient autour de ce projet d’ « écurie France » : on parle d’un GIP fédérant de grandes multinationales françaises, des discussions sont engagées avec Canal Plus pour devenir actionnaire majoritaire, et les appels du pied à Alain Prost, qui n’a pas renoncé à l’idée de devenir patron d’équipe, sont incessants. Briatore n’est pas contre une revente : il a eu ce qu’il voulait (le V10 Renault est dans la Benetton qui a remporté le titre mondial en 1995) et ferait sans doute une belle plus value.
Alors que le sort de Walkinshaw est finalement scellé – il abandonne Ligier et jette son dévolu sur Arrows, autre équipe en déshérence – Ligier se démène en piste avec le vaillant Olivier Panis et le brésilien Pedro Diniz, qui apporte avec lui l’argent du sponsor Parmalat. Excepté un maigre point décroché par Panis au Brésil, les monoplaces bleues manquent de fiabilité et sont plutôt abonnées à la 2e partie du peloton…quand elles ne crament pas littéralement, comme celle de Diniz en Argentine qui s’embrase après un problème de ravitaillement.
Loterie monégasque
Arrive alors Monaco. Avec beaucoup de charge aéro, la JS43 est performante sur le circuit de la Principauté. Panis a réalisé le meilleur temps du warm-up mais à cause d’une défaillance moteur, il n’a pu réaliser que le 14e temps lors des qualifications. Pas grave, il a promis un podium à son ingénieur ! Le jour de la course, des trombes d'eau s'abattent sur le circuit. La consommation étant moindre sur le mouillé, quelques pilotes font le pari de partir avec le plein, dont Olivier Panis.
Schumacher est en pole mais rate son envol en raison d'un patinage excessif, laissant le champ libre à Hill. Dans le virage du Portier, l’Allemand prend un peu large mais n’a pas de grip…et tape le rail ! La suspension est pliée, c’est l’abandon avant même la fin du 1er tour. 4 autres pilotes sont hors jeu à l’issue de cette première boucle, ça promet ! Dans les tours qui suivent, les éliminations se poursuivent, il n’y a déjà plus qu’une douzaine de voitures encore en piste…au 10e tour seulement ! Panis est très à l'aise, c'est l’un des rares pilotes à réussir des dépassements. Au 25e tour, il double Herbert à l’épingle du Loews et passe en 7e position.
Panis est aussi le grand bénéficiaire des arrêts aux stands. Non seulement il est l’un des premiers à passer les slicks et à profiter d'une piste qui s'assèche pour claquer des chronos, mais n’ayant pas à ravitailler en essence, son arrêt a été très rapide et lui fait gagner 3 places dans l’histoire. A mi-course, le voilà pointant 4e à deux secondes de de la Ferrari d'Eddie Irvine ! Au 36e tour, Panis est dans les échappements de l'irlandais qui défend sèchement sa position, mais dans la descente vers l'épingle du Loews le grenoblois se jette à l'intérieur. Les roues des deux monoplaces s'entrechoquent et Panis passe au forceps alors qu'Irvine se retrouve dans le rail. Le français augmente le rythme et signe les meilleurs tours du moment.
Au 41e tour, coup de théâtre ! Damon Hill abandonne à la sortie du tunnel, son moteur a rendu l’âme ! Il ne rejoindra pas son père au palmarès…Panis arrive sur la piste maculée d’huile et part en glissade mais heureusement, il récupère la situation, même si désormais David Coulthard le talonne. Jean Alesi hérite de la tête et dispose d’une bonne trentaine de secondes d’avance sur Panis, mais au 60e tour, patatras ! La poisse frappe encore l’avignonnais, qui rentre au stand avec une suspension affaissée.
Terrible désillusion, il doit renoncer ! Olivier Panis est en tête ! Encore une quinzaine de tours à parcourir. Le pilote grenoblois tient un bon rythme et réussit à contenir Coulthard. Le stress est à son comble, la pluie revient en fin de course et le niveau d'essence commence à être critique, mais les 2 heures règlementaires se sont écoulées et le drapeau à damier s'abaisse enfin. Olivier Panis gagne une course folle où seuls quatre concurrents voient l’arrivée !
Baroud d'honneur
C’est la folie chez Ligier. Cela faisait 15 ans, depuis la victoire de Jacques Laffite au Grand Prix du Canada 1981, que les bleus n’avaient plus savouré l’euphorie du succès ! Panis brandit un grand drapeau tricolore dans son tour d’honneur. Pour l'anecdote, il est bien embêté car il n'a pas emporté avec lui un smoking, plutôt utile pour le dîner de gala de la famille princière auquel est invité chaque vainqueur du Grand Prix de Monaco !
Devant son poste TV, Guy Ligier pleure de joie. Un succès inespéré avant un retour à la normale. 4 autres petits points seulement s’ajouteront dans l’escarcelle des bleus pour le reste de la saison 1996 dans un ultime baroud d’honneur, avant de passer la main après 20 ans d'épopée. Avec l'appui du gouvernement et la promesse d'un partenariat avec Peugeot, Alain Prost finalise le rachat de l'équipe pour 1997. C'est le début de l’aventure Prost GP, mais c’est une autre histoire. Olivier Panis ne remporta qu'une seule course dans sa carrière, mais une mémorable, que vous pouvez revivre ici ! Il faudra attendre 24 longues années avant que la Marseillaise ne retentisse de nouveau sur un podium, avec le triomphe de Gasly à Monza ! Que le temps fut long !