Romain Grosjean renonce à Abu Dhabi et tourne la page
"Je suis naturellement très désolé que Romain manque ce qui allait être sa dernière course avec Haas F1 Team", a déclaré Guenther Steiner, le directeur de l'équipe, qui a tenu à rendre hommage au pilote français avec lequel les relations ont été parfois compliquées «Mais nous sommes tous d'accord qu'il doit prendre la meilleure ligne de conduite concernant son traitement et son rétablissement après l'incident de dimanche dernier (...) Romain a fait preuve d'une bravoure exceptionnelle et d'un esprit étonnant ces derniers jours - nous savons à quel point il souhaitait pouvoir retourner dans le cockpit du VF-20 à Abu Dhabi. Et nous aurions tous aimé qu'il soit là aussi.
«Romain a cru en notre projet de Formule 1 au tout début, il s'est engagé à conduire pour nous avant même que nous ayons construit une voiture», a-t-il ajouté. «Il n'y a aucun doute sur la détermination et les efforts qu'il a déployés pour nous aider à réaliser ce que nous avons en tant que jeune équipe en Formule 1. Nous serons à jamais reconnaissants de cette conviction et de cet engagement.
«Ce sont ces qualités, son dynamisme et son ambition, qui, j'en suis sûr, l'aideront dans sa guérison. Au nom de Gene Haas et de moi-même, ainsi que de toute l'opération Haas F1 Team, nous souhaitons bonne chance à Romain et un retour en pleine santé."
Quel bilan pour Romain Grosjean ?
Sans volant pour l'an prochain, Romain Grosjean achève donc sa carrière en F1, débutée en 2009, après avoir disputé 179 grands prix et obtenu 10 podiums. Arrivé chez Renault en 2009 dans le contexte bien difficile du crashgate et avec Alonso comme équipier, le jeune français est en difficulté et n'est pas retenu pour 2010. Il se refait une santé en GP2 avec le titre 2011, ce qui lui permet de revenir en F1 en 2012 avec Lotus et de défendre à nouveau les couleurs tricolores dans le peloton. Certes éclipsé par Kimi Raikkonen, il montre une réelle pointe de vitesse, signe quelques beaux podiums mais multiplie aussi les accrochages et les incidents, dont le crash du fameux départ du GP de Belgique 2012, où il percute Alonso et manque de le décapiter. Jugé responsable et accusé d'un pilotage dangereux, Grosjean écope d'une humiliante suspension pour le grand prix d'Italie et subit la vindicte de certains pilotes, dont Mark Webber qui le traite de "taré du 1er tour". Sa réputation est faite et il aura bien du mal à se détacher de cette étiquette, son caractère entier et parfois de mauvaise foi s'avérant très clivant.
Après une 2e saison chez Lotus dans l'ombre de Raikkonen mais honorable, il enchaîne encore deux ans avec l'équipe Lotus qui périclite. Il parvient néanmoins à décrocher un superbe podium à Spa en 2015 et fait montre d'un feedback technique très intéressant. En 2016, il tente le pari de la nouvelle équipe américaine Haas, dans l'espoir peut-être de se relancer et de lorgner vers Ferrari. Cela restera une chimère, mais Grosjean porte à bout de bras la jeune équipe américaine, surtout lors des deux premières saisons, en signant quelques beaux résultats. Toutefois, tel docteur Jekyll et Mister Hyde, Grosjean peut rapidement passer de la lumière à l'ombre, sortir de superbes performances ou se vautrer dans des bourdes improbables qui alimentent - parfois injustement - le "Grosjean bashing", tel son improbable crash sous Safety-Car à Bakou en 2018 après avoir réalisé une belle remontée, son tête à queue à Barcelone en plein peloton où il reste pied au plancher et créer un panache de fumée qui provoque un accident, ou encore son tête à queue en sortant des stands à Silverstone en 2019. Depuis l'an dernier, Grosjean souffrait un peu de la comparaison avec Kevin Magnussen en vitesse pure mais il avait prouvé ses grandes compétences techniques (c'est lui qui avait mis le doigt sur les mauvais développements de la Haas en 2019 et réorienté les choix techniques du team) et réussi quelques jolis coups, comme sa 9e place au Nurburgring cette année.
Romain Grosjean laisse donc le souvenir d'un pilote attachant, parfois agaçant certes, dont le potentiel n'a pas été exploité à sa juste valeur, la faute aux circonstances mais aussi à une certaine fragilité psychologique qui a pu le pénaliser au début de son parcours. Néanmoins, même si sa carrière s'achève sur un effroyable crash, son sang-froid face au danger de mort et sa force de caractère ont fait le tour du monde et contribuerons à redorer l'image d'un pilote qui mérite le respect et, on l'a dit, a été parfois injustement moqué.
Son palmarès n'en reste pas moins honorable. L'histoire n'est cependant pas tout à fait terminée. Il souhaite effectuer un ultime test en F1, histoire de ne pas rester sur ce terrible crash de Bahreïn. Mercedes s'est déjà proposé pour lui offrir un roulage, mais d'autres suivront peut-être. Sa carrière pourrait bien prendre une pause en 2021, son accident et la proximité de la mort l'ayant changé, comme il l'a lui même expliqué. La piste Indycar avait été évoquée quelques semaines plus tôt, mais on peut imaginer, après le choc de Bahreïn, qu'il y réfléchira par deux fois vu la dangerosité de la discipline, d'autant plus qu'une carrière à temps plein aux States induit forcément de s'y installer. L'Endurance pourrait être une autre piste, Grosjean n'ayant pas caché son intérêt pour le projet Peugeot en Hypercar.
En attendant, la priorité est de bien récupérer. Bonne continuation à Romain Grosjean. On espère le revoir sur les pistes bientôt.