1ère partie : les "moteurs-turbine"
Principes
L'avènement des turboréacteurs dans l'aéronautique, une technologie qui a pris forme dans l'entre-deux-guerres avant d'être propulsée sur le devant de la scène à la fin du second conflit mondial, pousse les constructeurs à lancer des recherches pour l'appliquer à l'automobile. Dès la fin des années 40, plusieurs marques comme Rover, Fiat ou encore Chrysler et GM sont sur le créneau pour mettre au point un "turbine à gaz" qui remplacerait le traditionnel moteur à piston. Plutôt que de turbine à gaz, traduction littérale de l'expression anglo-saxonne gas turbine, il vaudrait mieux employer le terme de turbine à combustion, puisque le combustible utilisé peut être soit gazeux, soit liquide. Le principal intérêt de la turbine à gaz réside dans une plus grande simplicité mécanique que le moteur à pistons, un moindre encombrement et une plus grande longévité. Mais les inconvénients existent...
Autre différence de taille, le cycle thermodynamique se produit dans une succession d'organes mécaniques traversés par un même fluide gazeux, tandis que le cycle du moteur thermique classique réalise ses différentes phases dans un même organe mécanique, le cylindre en l’occurrence. Concrètement, pour faire simple, un compresseur rotatif aspire et comprime l’air extérieur, canalisé par une tuyère d’admission. L’air, une fois comprimé, pénètre dans la chambre de combustion, dans laquelle on injecte le combustible (gaz naturel, fuel domestique...). Après combustion, les gaz chauds, en se détendant, agissent sur les aubes des roues de la turbine. L’énergie mécanique fournie par la turbine est alors récupérée sur l’axe de ces roues.
Fifites & Sixties, la turbine est tendance
Les années 50 et 60 ont été une période d'intense recherche dans le domaine. En pleine période d'expansion de l'aviation civile et d'émergence de l'aérospatiale, symboles d'un progrès qui semble alors infini, le tout dans un contexte de course à l'innovation attisée par la Guerre Froide, l'automobile s'essaie à l'adaptation des turbines.
Fort de son expérience de guerre dans l'industrie aéronautique (l'entreprise avait commencé à travailler sur un moteur à réaction, avant de transmettre le projet à Rolls-Royce suite à des désaccords de coopération), Rover ouvre les hostilités dès 1950 en présentant la JET1, un coupé 2 places ouvert dont le moteur est placé à l'arrière des sièges passagers. Dotée d'un moteur capable de tourner à 40.000 tours /minute, la voiture atteint une vitesse de pointe de 240 Km/h lors d'essais routiers en Belgique. Cependant, quelques écueils, et pas des moindres apparaissent : le bruit, la consommation excessive de carburant, l'importante chaleur, l'absence de frein moteur et la lenteur de la réponse à l'accélération. Quelques années plus tard, Rover s'associe à BRM pour développer une barquette de course qui participe aux 24 heures du Mans dans les années 63-65, en catégorie expérimentale.
Fiat emboîte le pas, d'autant que le groupe turinois dispose d'une puissante branche aviation et d'une branche spécialisée dans les turbines à gaz industrielles. Sous la férule de Dante Giacosa, quelques ingénieurs s’attellent au secret, dans des ateliers du Lingotto, à la mise au point de la turbine Fiat 8001, tandis que le Centro Stile de Fiat conçoit une carrosserie très aérodynamique, affublée de deux dérives latérales arrière, obtenant un Cx de 0,14 ! Une voiture que n'aurait pas renié Batman ! La longue mise au point du propulseur, équipé d'un compresseur à deux étages, d'une turbine à deux étages, d'une turbine motrice et d'un système de transmission aux roues, aboutit à une puissance de 200 ch à 18 000 tr/min avec un générateur de gaz fonctionnant à 29 000 tr/min. La présentation officielle a lieu en 1954 à Turin.
A la même époque, la France n'est pas en reste. En 1953, la SOCEMA, pilier de l'industrie aéronautique tricolore, ambitionne de ravir le record de vitesse avec une petite turbine de 130kg et 100Cv, baptisée « TGV 1 Cema Turbo » , qui se compose d'un turbocompresseur avec une turbine haute pression (45.0000 Trs/min). Pour la fabrication du châssis, SOCEMA se tourne vers l'ingénieur Jean-Albert Grégoire, qui reprend la base d’une Hotchkiss-Grégoire, notamment sa carcasse composée d’Alpax (un alliage d’aluminium et de silicium). Pour pallier l'absence de frein moteur, un ralentisseur est intégré à la transmission, juste devant le différentiel, et se met en action dès lors que le conducteur lève le pied. La voiture cependant ne roulera jamais, puisque l'objectif fixé, 200 Km/h, sera pulvérisé entre temps par Rover (244). Quelques années plus tard, Renault s'associe à Turboméca, qui avait proposé sans succès la turbine Turmo 1, développant pas moins de 270 Ch à 28.000 tours minutes au kérosène, pour équiper un char. Un petit groupe s'implique dans ce projet de voiture à record, constituée d'un châssis tubulaire, d'une carrosserie polyester et d'une transmission inédite, Transfluide, adaptée aux hautes vitesses de rotation. Avec un poids sous la tonne, un Cx de 018 et 270 chevaux, l'étoile filante est dans un premier temps étrennée à Montlhéry puis part pour le Lac Salé à l’été 1956, avec au final un record de 308,85km/h !
Aux USA, GM avait "fait le buzz" dans les années 50 avec une série de concept-car Firebird futuristes et spectaculaires, dignes de l'âge d'or de la Science-fiction, mais le constructeur qui s'est le plus approché de la "série" demeure Chrysler. Les premiers travaux remontaient aux années 30, mais faute de technologies adéquates, il faut attendre l'après-guerre avec une série de prototypes qui aboutissent en 1963 à la Chrysler Turbine Car, fabriquée à 55 exemplaires pour des tests en grandeur nature (elles furent prêtées à des clients tirés au sort) et fruit d'une décennie de développement. La turbine en elle-même délivre 130Cv à 47.500 tours par minutes avec un gros couple disponible d'emblée , et pouvait fonctionner aussi bien avec du carburant Diesel, de l’essence sans plomb, du kérosène, du Fuel JP-4 ou encore de l’huile végétale voire des alcools. Le design était signé Ghia, avec un avant respectant les canons esthétiques de l'époque (profusion de chromes), une teinte bronze mais surtout un arrière spectaculaire évoquant les lignes aéronautiques. Si la technologie était louée pour sa facilité d'entretien (moins de pièces mobiles) et ses vibrations moindres, le démarrage demeurait compliqué à appréhender pour le conducteur lambda, la chaleur diffusée à l'arrière assez dangereuse et la consommation, à 50 litres au 100 en moyenne, était dissuasive ! Pas étonnant que les recherches aient pris du plomb dans l'aile avec les chocs pétroliers...
L'hybride déjà
Savez-vous que Toyota a également lancé un projet en 1965 ? Sauf que le constructeur nippon se démarque en orientant ses expérimentations vers un système hybride, déjà ! Une show car basée sur la Sports 800 est présentée au Tokyo Motor Show en 1977 et les recherches ont été prolongées jusqu'au début des années 80. Le moteur à turbine à gaz de 30 ch (22 kW) était connecté à un générateur, qui alimentait un moteur électrique connecté à une boîte de vitesses à 2 vitesses.
Et en compétition ?
Si la turbine à gaz posait problème pour un passage en série et une utilisation au quotidien, qu'en était-il dans la compétition ? Comme souvent à l'époque, c'est l'innovante Lotus de Colin Chapman qui s'aventura le plus loin dans l'expérience. Mais rendons à César ce qui est à César, car c'est Andy Granatelli, le patron de la STP, qui essaya en premier avec la STP-Paxton Turbocar de 1967, engagée aux 500 miles d'Indianapolis. Le moteur avait été développé par Barnes Wallis, un parent de Barnes Wallis, l'ingénieur connu pour ses superbombes (comme Tallboy) pendant la guerre. La turbine à gaz, dérivée de la célèbre Pratt & Whitney PT6 très usitée dans l'aviation, donnait 550 chevaux (avec un délai de latence de 3"), soit 125 de plus que le V8 Cosworth, pour un poids moindre. Elle était placée de manière originale en position centrale à gauche de la monoplace, avec le cockpit pilote à côté.
Le circuit ovale d'Indianapolis, avec ses 4 virages à gauche, a influencé cette solution. Un convertisseur de couple supprimait l'arbre de transmission et la boîte de vitesses, tandis que le châssis était en aluminium. Qualifiée 6e de l'Indy 500 1967, la STP domine la course...avant d'abandonner à quelques tours de la fin sur un bris de roulement de transmission.
L'année suivante, Lotus dispute Indy 500 avec la 56, qui reprend la turbine de la STP avec un châssis aux suspensions novatrices, une aérodynamique nettement évoluée avec ses forme sen coin, ainsi que 4 roues motrices. Une fois encore, la Lotus 56 manque la victoire à quelques boucles de l'arrivée, puis l'USAC (l'autorité qui légifèrait sur le championnat américain) impose des restrictions aux moteurs à turbine. Colin Chapman essaie par la suite d'adapter le concept à la F1, avec la 56B présentée en 1971. Sous la pluie, la présence des 4 roues motrices la rendait redoutable mais sur les quelques courses disputées, elle n'eut pas l'occasion d'en profiter, souffrant plutôt d'un manque de fiabilité et de suspensions qui supportaient mal le poids engendré par la traction intégrale, les disques de freins plus grands et les gros réservoirs induits par la forte consommation. La performance sur ovale, facile une fois la voiture lancée et à vitesse constante, n'était pas reproduisible sur un circuit classique avec de nombreuses relances...A la fin de l'année, la 56B est remisée au placard avec comme meilleur résultat une 8e place au GP d'Italie 1971.
La voiture de course à turbine qui a eu le meilleur palmarès fut finalement la Howmet TX (1968) développée par l’américain Ray Heppenstall, un ingénieur issu du programme Rover-BRM. Sponsorisée par le fabricant de turbines pour l’aérospatiale Howmet, d'où son nom (une première), et dont le vice-président était pilote à ses heures, la TX embarque deux turbines d'un poids total de 77 kilos pour 350 Chevaux qui peuvent tourner jusqu’à 57.000 Tours par minute : il s'agit de prototypes qui n'ont pas été retenus pour un projet d'hélicoptère léger de l'US Army. Un petit moteur électrique fait office de marche arrière, pour se conformer aux exigences de la FIA tandis que la voiture dotée de suspensions à double triangulation ne fait que 685 kilos ! La spécificité de la TX La turbine réside dans l'emploi d'un troisième échappement alloué à la soupape de décharge qui doit éliminer la latence à l'accélération. Rapide en essais mais peu fiable, elle remporte quelques courses du championnat local SCCA (c'est la seule victoire en course d'une voiture à turbine) et pointe même sur le podium à Daytona avant d'abandonner. On l'aperçoit aussi au Mans, mais elle passe beaucoup de temps au garage et n'est pas classée. A la fin de la saison, le programme trop couteux est arrêté et la TX termine sa carrière avec quelques records de vitesse dans sa catégorie.
La turbine au secours de l'autonomie ?
Avec l'émergence de la voiture électrique, la turbine à gaz refait son apparition en 2010, non pas comme moteur principal mais sous la forme d'une hybridation, à l'instar du concept Jaguar C-X75 de Ian Callum. La supercar électrique était alimentée par 4 moteurs électriques, dont les batteries se rechargeaient grâce à deux micro-turbines (35 kilos chacune) couplées à un générateur, tournant à 80.000 trs/min et développant chacune 95 ch. Avec cette configuration, la C-X75 annonçait 900 Km d'autonomie pour 28 kg CO²/km ! Il s'agit ici d'agir en tant que prolongateur d'autonomie, fonctionnant de façon constante et donc optimale. C'est ce principe que l'on retrouve aussi sur la supercar chinoise Ren de Techrules, toujours en développement, qui a recours à une micro-turbine diesel. Encore coûteuse, la turbine pour l'instant ne vise que des supercars et présente encore de gros inconvénients, dont le bruit n'est pas des moindres. A suivre...
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