Un battant
En Juin 1979, alors qu'il pointait en tête du championnat du monde de Formule 1 à mi-saison, la vie de Patrick Depailler bascule avec ce fameux accident de deltaplane qui lui brise les jambes. Amateur de sensation fortes, mordu de moto comme de plongée sous-marine, Depailler, qui craquait toujours quelques cigarettes avant une course, avait expliqué pendant sa convalescence qu'il ressentait le besoin de vivre vite et fort, et que nul ne pouvait l'en empêcher. Pourquoi ? Parce qu'après une chute, tel un héros nietzschéen, il se relevait toujours et revenait plus fort.
Caractère entier, mais aussi force de détermination. Alors que les médecins lui prédisent deux ans de rééducation avant de prétendre reprendre le volant, Patrick est au départ du 1er grand prix de la saison 1980, huit mois et 9 opérations chirurgicales plus tard ! Il a encore besoin de béquilles, mais sur la grille de départ, il figure à la 7e place à Kyalami au volant de cette capricieuse Alfa Romeo 179. Alfa Romeo oui, car Depailler a refusé le contrat de pilote n°2 que Guy Ligier lui avait proposé. Révélé avec Matra, champion d'Europe de Formule 2 en 1972, Depailler avait d'abord piloté pendant 5 ans pour Tyrrell, notamment sur la fameuse T34 à 6 roues, avant de rejoindre les bleus en 1978, avec une victoire mémorable à Monaco cette année-là. Mais l'accident de deltaplane avait laissé des traces, et Depailler était parti chez les Italiens.
Retour qui force le respect
Sauf que le prestigieux blason Alfa Romeo ne garantit pas le succès. Revenu en 1979 en tant que constructeur à part entière, le Biscione a produit avec la 179 une monoplace assez pataude, très difficile à mettre au point et surtout pénalisée par une fiabilité catastrophique. Grâce au renfort de Robert Choullet, grand aérodynamicien qui en son temps avait œuvré sur les Matra et la Porsche 917, la voiture s'affine et se montre assez véloce, à défaut de tenir la distance ! Depailler a réalisé de belles prestations en qualifications, avec une superbe 3e place à Long Beach qui prouve définitivement à tout le monde qu'il est revenu à 100% et n'a rien perdu de son talent. Mais à l'issue de la mi-saison 1980, le français n'a pas vu une seule fois la ligne d'arrivée ! Moteur, suspension, échappement...il y a toujours quelque chose qui cloche.
Le drame, à l'abri des regards
En ce début d'Août 1980, Alfa Romeo a choisit le circuit ultra-rapide d'Hockenheim pour peaufiner les essais de la 179, avec Depailler et son équipier Bruno Giacomelli. A 11 heures 35, le silence s'abat sur le circuit. La voiture médicale se met en route et arrive à l'Ostkurve où est survenu le drame. Pour une raison inexpliquée, l'Alfa Romeo a quitté la route à environ 280 km/h dans cette longue courbe à droite très rapide avec un léger banking, un virage où il fallait "en avoir". L'Alfa Romeo, tel un missile, se fracasse contre les rails puis se retourne. La voiture a été pulvérisée et Depailler est dans un état désespéré, relevé avec de multiples fractures, de sérieuses blessures à la tête et les jambes pratiquement arrachées, qui provoquent une importante hémorragie. Signe de la violence du choc, une personne ramassera des débris de suspension...100 mètres plus loin. Transporté en urgence, Depailler est déclaré mort à 13 heures, une semaine avant son 36e anniversaire. Comme Jim Clark douze ans plus tôt, la mort a frappé en plein cœur de la forêt, loin des regards.
Les jupes en cause ?
Le choc est immense dans le paddock, encore plus pour le clan français qui, en 1980, compte pas moins de 8 pilotes dans le peloton ! Didier Pironi, qui, triste ironie du sort, verra sa carrière se briser sur ce même circuit deux ans plus tard, et Jean-Pierre Jarier, se rendent dans l'Ostkurve pour inspecter le lieu de l'accident et essayer de comprendre. Tous les éléments semblent indiquer une brutale défaillance de la monoplace. Une rupture de suspension ou alors le blocage d'une jupe latérale qui l'aurait privé de l'effet de sol et déstabilisé brusquement a monoplace. Cet élément aérodynamique de plus en plus incriminé fait l'objet justement, à cette époque, d'un bras de fer politico-sportif entre la FISA et la FOCA. Tout le monde sait que en cas de défaillance des jupes, qui plaquent la voiture au sol sous l'effet de la vitesse, le pilote ne peut rien faire et se retrouve passager d'un obus.
Dans le paddock d'Hockenheim, les pilotes se mobilisent pour faire avancer les questions de sécurité et, à la quasi unanimité, militent pour l'interdiction des jupes, ce qui fait justement l'affaire de Jean-marie Balestre, le président de la FISA, qui veut les supprimer. Du côté d'Alfa Romeo par contre, ce n'est pas très glorieux. Carlo Chiti, le retors directeur technique (qui jouera plus tard un sale tour à Gérard Ducarouge pour l'évincer d'Autodelta), veut à tout prix éviter la mise en cause technique de la voiture et déclare dans les médias, surtout italiens, que Depailler était fatigué, laissant supposer qu'une défaillance humaine, et non mécanique, serait à l'origine du drame. Malgré tout, le mystère ne sera jamais totalement levé sur cet accident.
La mort de Patrick Depailler contribuera néanmoins à faire avancer la cause de la sécurité, la FISA ayant finalement le dernier mot, en obtenant l'interdiction des jupes aérodynamiques mobiles dès 1981, tandis qu'une chicane sera ajoutée pour casser la vitesse dans l'Ostkurve d'Hockenheim.