243,5 milliards de yens affectés pour délocaliser hors de Chine
Le Japon a affecté 243,5 milliards de yens à son programme de soutien économique sans précédent pour aider les fabricants à délocaliser la production hors de Chine alors que la pandémie due au coronavirus perturbe les chaînes d'approvisionnement entre les principaux partenaires commerciaux.
Le budget accordé, destiné compenser les effets dévastateurs de la pandémie, comprend 220 milliards de yens pour les entreprises qui relocalisent la production au Japon et 23,5 milliards de yens pour celles qui cherchent à déplacer la production vers d'autres pays.
Ironie de l'histoire. Cette décision coïncide avec ce qui aurait dû être une célébration de liens plus amicaux entre les deux pays. Le président chinois Xi Jinping était censé effectuer une visite d'État au Japon en avril dernier mais le sommet, qui aurait été le premier du genre en une décennie, a été reporté il y a un mois alors que le virus commençait à se propager à travers le Japon. Aucune nouvelle date n'a été fixée.
Réflexion des experts du gouvernement japonais
En temps normal, la Chine est le plus grand partenaire commercial du Japon, mais les importations chinoises ont diminué de près de moitié en février, la pandémie ayant conduit à une fermeture de ses plus importantes usines, impactant les fabricants de pièces japonais.
En mars dernier, le groupe d'experts du gouvernement japonais planchant sur les investissements futurs a discuté de l'opportunité de délocaliser la fabrication de produits à haute valeur ajoutée vers le Japon et de répartir la production d'autres biens dans toute l'Asie du Sud-Est.
Réduire la dépendance de la chaîne d'approvisionnement vis-à -vis de la Chine
Selon David Arase, professeur de politique internationale au Johns Hopkins University Nanjing University Center for Chinese and American Studies, la récente poussée politique du Japon pour éloigner de Chine la production de tout approvisionnement jugé critique est motivée par deux raisons majeures. Toutes deux liées à une ferme volonté de réduire la dépendance de la chaîne d'approvisionnement vis-à-vis de la Chine.
Tout d'abord, de nombreuses entreprises japonaises ont «parié sur la Chine» et dépendent exclusivement des usines et des entreprises chinoises pour fournir des biens d'une importance cruciale. Le COVID-19 a souligné le risque de faire de la Chine un goulet d'étranglement des chaînes d'approvisionnement mondiales et régionales du Japon.
L'autre raison est que le relocalisation de la production au Japon s'avère stratégiquement indispensable - et pas seulement la gestion de la chaîne d'approvisionnement, aspect clé du plan du Premier ministre japonais Shinzo Abe.
Lequel pourrait faire d'une pierre deux coups. Améliorant la sécurité nationale tout en profitant parallèlement aux petites et moyennes entreprises japonaises et stimulant les plans de réaménagement des provinces de manière à améliorer les perspectives politiques du Parti libéral démocrate.
Le COVID-19 a mis en évidence la fragilité sous-jacente de la Chine
L'expérience COVID-19 met en évidence la fragilité sous-jacente de la Chine et a affaibli la confiance dans la qualité de la gouvernance chinoise. Et malgré les messages officiels provenant de Chine, la pandémie du COVID-19 n'est pas réellement terminée. Les experts estiment qu'une nouvelle vague d'infection pourrait être envisagée dans l'Empire du Milieu. La poursuite de la pandémie sur le territoire chinois pourrait donc durer encore au moins une année.
Même avec des mesures de relance monétaire et budgétaire, une reprise tardive du reste du monde signifie que les problèmes chinois de dette publique et privée excessive, de croissance atone, de baisse des exportations, de défauts de paiement et de faillites, et d'un éventuel mécontentement social créeront incertitude et risque estime l'expert David Arase.
Les relations sino-américaines se détériorent
Dans le même temps, les relations sino-américaines se détériorent et l'affirmation de la Chine à Hong Kong, dans le détroit de Taiwan, en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale augmente, ce qui n'est peut-être pas sans rapport avec la nécessité qu'a la Chine de gérer une situation politique intérieure inquiétante, toujours selon l'expert.
Les navires chinois ont ainsi continué à patrouiller autour des îles administrées par le Japon régulièrement tout au long de la crise du coronavirus, le Japon indiquant notamment que quatre navires chinois étaient entrés dans ce qu'il prétend être ses eaux territoriales.
Tout cela signifie que les nouveaux développements sanitaires, économiques et géopolitiques émanant de la Chine pourraient perturber davantage les chaînes d'approvisionnement mondiales et régionales ancrées en Chine.
La Chine demeure le plus grand marché d'exportation du Japon
La Chine semble craindre que la décision du Japon ne nuise à l'appréciation générale des investisseurs étrangers à l'encontre de son pays. Cette préoccupation reflète le fait que l'Empire du Milieu a besoin d'accéder aux riches économies occidentales pour retrouver une croissance et un développement stables, ce qui est essentiel à la légitimité de Xi, ajoute l'expert.
De plus, les produits japonais et étrangers importés par la Chine sont de plus en plus souvent des biens qu'elle ne peut elle-même fabriquer.
Ainsi, la Chine ne peut s'offrir le luxe de représailles envers le Japon de peur de saper le récent rapprochement sino-japonais et d'attirer davantage l'attention internationale sur la réévaluation négative du Japon de la fiabilité de la Chine en tant que partenaire économique.
Implications géopolitiques pour les relations Japon-Chine
Abe associe également le départ de la Chine à sa stratégie indo-pacifique libre et ouverte (FOIP Free and Open Indo-Pacific), qui constitue une version japonaise modeste mais néanmoins efficace des Routes de la Soie chinoises, en se concentrant sur la fourniture d'infrastructures de qualité et la sécurité maritime.
L'idée japonaise du FOIP est de travailler avec d'autres puissances - l'Australie, l'Inde et les Etats-Unis - et les pays en développement indo-pacifiques pour soutenir le développement économique régional et l'intégration selon des normes bien établies.
Si le Japon décide, dans le cadre d'une politique publique, d'encourager la délocalisation des chaînes d'approvisionnement japonaises de Chine vers les pays partenaires du FOIP, il pourrait renforcer les efforts menés par l'instance. Mais tout lien ouvert pourrait nécessiter des représailles chinoises et déclencher une spirale descendante dans les relations sino-japonaises. Comme toujours, un subtil équilibre est nécessaire pour gérer avec succès cette relation fragile et conflictuelle.
Coopération accrue entre les Etats-Unis et le Japon ?
L'expérience du COVID-19 enseigne aux Etats-Unis et au Japon des leçons similaires, selon l'expert. La Chine a excellé pour attirer et entretenir les chaînes de valeur mondiales américaines et japonaises, tout d'abord dans les opérations d'assemblage à faible valeur ajoutée et désormais dans la production de biens et services intermédiaires à plus forte valeur ajoutée. Faisant de la Chine un maillon indispensable de la chaîne de valeur.
Mais la pandémie a démontré comment ce lien chinois indispensable est également un goulet d'étranglement qui peut à tout moment interrompre l'approvisionnement en marchandises dont les Etats-Unis et le Japon dépendent de manière critique. Les deux nations sont maintenant convaincues que des solutions de contournement doivent être trouvées et mises en oeuvre de toute urgence.
Il y a une marge évidente pour la coopération américano-japonaise si les dirigeants décident de coordonner leurs efforts d'ajustement de la chaîne d'approvisionnement avec les agendas politiques indo-pacifiques. L'Inde est notamment considérée par les Etats-Unis et le Japon comme un partenaire stratégique et économique clé de l'Indo-Pacifique qui pourrait bénéficier d'une meilleure connectivité économique avec l'Occident.
Toujours selon le spécialiste, l'opportunité d'une coopération bilatérale et régionale gagnant-gagnant issue de la crise COVID-19 existe. Il appartient aux deux pays de réfléchir à long terme à la stratégie FOIP et de charger leurs ministères du commerce et des finances d'établir des consultations – en englobant dans les discussions les alliés européens, la Banque asiatique de développement et la Banque mondiale - pour orienter l'aide, l'investissement et les relations commerciales vers les pays en développement indo-pacifiques partageant les mêmes idées pour les aider à assumer la migration des chaîne d'approvisionnements hors de Chine et à renforcer la stratégie indo-pacifique "libre et ouverte."
Notre avis, par leblogauto.com
Il est désormais loin le temps où en 2002, Honda frappait les esprits en annonçant qu'il n'augmenterait plus sa capacité de production au Japon mais ouvrirait, en Chine, une usine dont l'unique vocation serait de construire des voitures pour les marchés d'exportation.
La presse japonaise redoutait alors que l'industrie nippone ne soit en train de fuir l'Archipel. Afin de maintenir leur compétitivité, les patrons japonais étant durant cette période de plus en plus nombreux à délocaliser leurs usines en Chine, faisant ainsi peser une menace sur l'Archipel, « qui risquerait de devenir un pays sans usine » indiquait les Echos.
En 2015, Honda avait toutefois annoncé son intention de revenir sur son territoire national pour produire ses scooters de petite cylindrée. Jugeant alors la Chine dotée de moins en moins d'atouts en terme de production industrielle.
L'expérience du coronavirus a donc encore de multiples choses à nous apprendre et devrait être la source de moult bouleversements au sein des organisations.
Sources : Japantimes, Bloomberg, Les Echos