débuts chez Nesselsdorfer et Steyr
Hans Ledwinka naît près de Vienne en 1878, au temps de l'Empire Austro-Hongrois. Après un apprentissage en mécanique puis des études techniques, il entre dans l'entreprise de matériel ferroviaire Neselsdorfer Wagebau, qui est basée en Moravie, en tant que dessinateur. Avec d'autres ingénieurs, il pousse l'entreprise à s'intéresser à l'automobile et conçoit en 1900 son premier modèle, une voiture de course bâtie autour d'un moteur Benz et destinée au baron Von Liebig.
Assez rapidement, Ledwinka se démarque par un sens de l'innovation et de l'avant-gardisme. En 1905, après un intermède en Autriche, il réintègre l'entreprise et s'attelle à la conception de la Type S, dont le moteur 4 cylindres 3,3 litres présente des nouveautés telles que les soupapes en tête actionnées par des arbres à came et des chambres de combustion hémisphériques. Ses capacités le propulsent à la tête du bureau d'études en 1912, où il développe la Type U qui sort en 1915. Dotée d'un moteur 6 cylindres, cette nouvelle voiture ouverte est équipée de freins sur les 4 roues, ce qui en fait une première mondiale. Décidément remuant, Ledwinka passe en 1917 chez le fabricant autrichien Steyr, puis revient en 1921. Entre temps, l'Empire d'Autriche-Hongrie a éclaté après la défaite de la Triplice en 1918 et les traités qui s'en sont suivis. L'entreprise Nesselsdorfer se situe désormais dans la nouvelle Tchécoslovaquie et prend le nom des plus hauts sommets montagneux de la Moravie : Tatra.
Innovantes Tatra
Ledwinka a négocié âprement son retour et conserve des liens avec Steyr, où il fera bientôt la connaissance d'un autre brillant ingénieur qui croisera sa route plus tard : Ferdinand Porsche. Son départ de Steyr avait été motivé par un projet de petite voiture abordable que l’entreprise autrichienne lui avait refusé. Chez Tatra, ses ambitions sont satisfaites et lui permettent de développer la Tatra modèle 11.
Présentée en 1923, cette voiture propulsée par un bicylindre refroidi par air présente une grande innovation : le châssis tubulaire à poutre central, ou châssis en épine dorsale. L'ensemble moteur-boîte est boulonné à l'avant et l'arbre de transmission clos fait office de poutre centrale porteuse, sur laquelle sont reliés les essieux oscillants avec des roues indépendantes.
Cette Tatra 11, stable et confortable, connaît un grand succès, et fut l'une des voitures favorites d'un certain....Adolf Hitler. A la fin des années 20, Ledwinka voit arriver en renfort son fils Erich et l'ingénieur allemand Erich Üblerlacker. Il se rapproche aussi de l'ingénieur hongrois Paul Jaray, qui a fondé sa propre société Stromlinie Gesellschaft. Impliqué dans la conception des fameux dirigeables Zeppelin, Jaray est un pionnier de l'aérodynamisme, un domaine où les constructeurs sont encore très frileux à l'époque. L'association de ces talents va aboutir à la naissance des modèles iconiques, emblématiques de Tatra.
Moteur à air et aérodynamisme
Dès 1931, un premier prototype de voiture économique, baptisé V570, est proposé, puis retravaillé selon les principes aérodynamiques de Paul Jaray, aboutissant ainsi au second proto V570 de 1933.
Ledwinka est un farouche partisan du moteur arrière refroidi par air : selon lui, le positionnement arrière du moteur pour la propulsion, en supprimant ainsi l'arbre de transmission, réduit les contraintes de bruit, des vibrations et de perte d'efficacité tout en permettant d'avoir un plancher plat dans l'habitacle, donc un centre de gravité abaissé et plus d'espace à bord. Quant au refroidissement par air, il est considéré comme une bonne solution pour affronter les fortes variations de température intrinsèques aux régions marquées par un climat continental ou semi-continental, comme c'est le cas en Europe centrale.
Le moteur est un deux cylindres boxer 850cc à refroidissement à air avec une puissance de 18 chevaux à 3 500 tours/min. Le moteur, la boîte de vitesses et les demi-essieux ont été construits en un seul bloc. Malgré des difficultés sur la maîtrise du refroidissement, les premiers prototypes atteignaient les 80 Km/h. Néanmoins, le passage à la série est repoussé, Tatra préférant se focaliser sur d'autres modèles plus luxueux qui reprennent les idées du V570 avec une production rationalisée des carrosseries : le modèle T77 en 1934 créé la sensation avec des lignes encore jamais vues sur une voiture de série, puis la T87 sort en 1936. C'est une berline de prestige mue par un V8 de 85 chevaux et qui, grâce à sa carrosserie profilée, se permet d'atteindre 160 Km/h tout en affichant de meilleurs consommations que la concurrence. Le style Tatra connaît un immense succès et fera dire à Hitler que ce sont des "voitures pour mes autoroutes". A l'occasion des grands salons, Ledwinka a souvent l'occasion de rencontrer et de discuter avec le Führer mais aussi avec Ferdinand Porsche...
Cousines germaines...
Finalement, en 1936, le modèle "populaire" issu du concept V570 est également mis en circulation : la Tatra T97, tout en rondeurs, à carrosserie profilée avec un moteur arrière à refroidissement par air. En regardant de près cette T97, on ne peut s'empêcher de penser à une certaine "Kdf-Wagen", cette fameuse voiture du peuple conçue par Ferdinand Porsche d'après les volontés d'Hitler et qui entre en production en 1937. Normal, celle qui deviendra la fameuse Coccinelle s’inspire énormément de la Tatra de Ledwinka ! L'entreprise tchèque crie au piratage de brevets et veut régler cela devant la justice.
Mais en octobre 1938, après la fameuse conférence de Munich, l'annexion au Reich de la région des Sudètes, territoire germanophone situé en Bohème-Moravie, est entérinée. Six mois plus tard, la Wehrmacht envahit la Bohème-Moravie, humiliant une nouvelle fois les démocraties occidentales qui s'étaient laissées convaincre après Munich que le Reich n'aurait plus de revendications territoriales...
Les usines Tatra passent sous la coupe de l'Allemagne et la querelle des brevets est ainsi "enterrée". Si la T87, très appréciée des dignitaires nazis, est produite jusqu'en 1942, la T97 voit sa fabrication stoppée dès 1939. Porsche avouera à demi-mot son inspiration. Tatra fut mis sous l'éteignoir mais obtiendra, après une longue bataille judiciaire, un dédommagement de 3 millions de Deutsch Mark par Volkswagen en 1961...L'histoire aurait pu être différente, auriez-vous imaginer un film "un amour de Tatra" en 1968 ?
Après-guerre
La Seconde Guerre Mondiale marque alors la fin de la carrière innovante de Ledwinka, dont le bureau d'études est affecté à la production de véhicules militaires. Après la guerre, il est condamné par le gouvernement communiste tchécoslovaque à 5 ans de prison pour collaboration. A sa libération, il refuse de reprendre ses fonctions chez Tatra, devenue une entreprise d'état nationalisée, et préfère s'installer en Allemagne de l'Ouest où il continue d'exercer comme consultant pour Steyr-Daimler Puch et Bosch. Dans les années 50 et 60, Tatra capitalisera (façon de parler...) néanmoins sur ses études et ses innovations, comme en attestent les fameuses Tatraplan et T600 d'après-guerre. Resté dans l'ombre de ses congénères pour la postérité, Hans Ledwinka disparaît en 1967.
Images : wikimedia, Team Tatra, flickr