Les grands ingénieurs, épisode 1 : John Barnard
par Nicolas Anderbegani

Les grands ingénieurs, épisode 1 : John Barnard

Nouvelle série du confinement, consacrée cette fois-ci aux hommes derrière les machines. On commence avec une référence, le "Adrian Newey des années 80", l'anglais John Barnard.

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Né en 1946 à Wembley, diplômé de l’université de Watford, John Barnard commence par travailler au sein de sociétés d’électricité et de machinerie, avant d’être embauché par Lola Cars vers la fin des années 60 pour travailler sur des prototypes. Il y croise la route d’un certain Patrick Head, le futur directeur technique emblématique de Williams. Les deux hommes se lient d’amitié, en attendant que leurs créations respectives ne s’affrontent en piste !

Succès en Amérique

En 1972, Barnard rejoint McLaren et fait ses premières classes en F1 aux côtés du chef designer Gordon Coppuck. C’est l’époque de la M23, l’une des monoplaces les plus performantes du milieu des années 70. Il est recruté ensuite par l’équipe américaine Parnelli, qui fait un bref passage en F1 avec Mario Andretti avant de retourner en Indycar. Il file ensuite chez Chaparral, un constructeur très réputé à l’époque pour ses innovations aérodynamiques.

Il y développe notamment la 2K, première Indycar reprenant le principe d’effet de sol, introduit par Lotus en F1 quelques années plus tôt. Cette voiture gagne l’Indy 500 et le championnat CART en 1980 avec Johnny Rutherford.

La monocoque

Ses créations remarquées attirent l’attention de Ron Dennis, le nouveau boss de McLaren F1, qui lui confie la conception d’une voiture fondamentale : la McLaren MP4/1 de 1981. C’est la première monoplace McLaren de l’ère Dennis, portant le nom de code « Marlboro Project 4 » qui matérialisait la fusion de l’ancienne équipe McLaren avec la structure de Formule 2 du manager anglais. Mais surtout, la MP4/1 introduit une innovation majeure : la monocoque en fibre de carbone, qui impose de nouveaux standards de rigidité et de protection du pilote, conçue en partenariat avec la firme américaine Hercules Aerospace.

Les réserves émises par certains sur cette nouvelle technologie se dissipent au GP d’Italie 1981 à Monza, quand John Watson subit un énorme crash qui servira de témoignage du bien-fondé de la monocoque carbone, le pilote ayant survécu à un accident qui aurait été probablement fatal auparavant. De 1984, année qui marque l’arrivée du V6 Turbo TAG Porsche, jusqu’en 1986, McLaren est l’écurie dominante de la F1, la MP4/2 et ses évolutions remportant trois titres pilotes avec Niki Lauda et Alain Prost ainsi que deux constructeurs.

Néanmoins, en 1986, la MP4/2C, conservatrice et au V6 TAG vieillissant, commence à se faire damer le pion par la Williams FW11-Honda de…Patrick Head. De plus, Barnard cherche à accroître son poids dans l’équipe, ce que Dennis ne peut accepter. L’opportunité d’un nouveau challenge se présente alors : relever la Scuderia Ferrari, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Fini le vin !

Le Commendatore recrute l'ingénieur anglais, qui n’a pas hésité à fixer ses conditions : il concevra les futures Ferrari…depuis ses bureaux d’études de Guilford, nommés malicieusement GTO, basés enAngleterre, et avec le financement du cheval cabré !

Sacrilège pour les puristes, mais comment refuser de se passer des services d’un tel talent ? Barnard veut se tenir à l'écart des intrigues politiques et des luttes de personnes à Maranello. Il impose ses choix, remanie de fond en comble le département technique, purge le personnel et brusque les habitudes de travail. C'est un véritable choc des cultures, qui lui attire des inimitiés. Les mécaniciens n’apprécient guère la suppression de la longue pause déjeuner arrosée de Lambrusco à midi…chez McLaren, c’était 15’ de pause, un café et un sandwich ! Courant 1987 encore, il s’épanche dans la presse en dénonçant les méthodes archaïques de la Scuderia et le manque d’entrain du staff italien. Ambiance…

La Ferrari F188 de 1988 est éclipsée par la MP4/4, car les efforts de développement sont déjà tournés vers l’avenir : c’est pour la saison 1989, coïncidant avec la nouvelle réglementation 3.5 L atmosphérique, que Barnard réserve sa révolution. La pression est forte, d’autant que le courant ne passe pas du tout entre la presse italienne, très intrusive, et l’ingénieur britannique, qui ne prend pas de pincettes pour dire sa façon de penser.

Une Ferrari qui déboîte !

Mais c’est encore la sensation, quand apparaît la Ferrari 640 "made in UK". Elle détonne par son aérodynamisme et sa taille de guêpe. Malgré la présence d’un gros V12, la silhouette de la 640 avec ses fameux pontons en bouteille de coca a été possible grâce à l’implantation d’une boîte de vitesses 7 rapports semi-automatique à commande électro-hydraulique, avec commandes au volant ! Mauro Forghieri avait commencé à travailler dessus au début des années 80 mais les limites de l’électronique à cette époque l’avaient contraint de remiser le projet au placard. Cette innovation, qui deviendra en quelques années un standard et un nouveau jalon majeur dans l’histoire de la F1, rencontre néanmoins de gros soucis au début.

Malgré une victoire surprise au Brésil en ouverture du championnat 1989, la fiabilité, désastreuse, met Barnard en difficulté : la presse italienne réclame sa tête, mais la direction Agnelli lui maintient sa confiance . Si Alain Prost accepte de rejoindre Ferrari pour 1990, c’est en partie parce qu’il a exigé que soit conservé John Barnard, dont il avait gardé évidemment un excellent souvenir chez McLaren. Pourtant, ce dernier choisit de quitter Maranello, non sans avoir œuvré sur la 641 qui permettra au français de disputer le titre à Senna en 1990.

Benetton en coup de vent puis retour en rouge

Il rejoint Benetton courant 1990 et conçoit la B191, mais ne fait pas long feu : ses relations avec Briatore sont orageuses et il est limogé dès la mi-saison 1991.

Après avoir brièvement œuvré sur un projet mort-né TOMS Toyota, Il revient alors chez…Ferrari dès 1992, par l’entregent de Niki Lauda, alors « conseiller spécial » de la Scuderia. Une nouvelle fois, Ferrari est aux abois. Les monoplaces 643 (1991) et F92 (92) ont été calamiteuses, finissant de faire imploser l’équipe. Une nouvelle fois, il obtient de fonder un studio en Angleterre, FDD, et une nouvelle fois, il contribue au retour en grâce de la Scuderia : le succès revient progressivement avec les originales 412 T1 (1994) et T2 (1995) de Gerhard Berger et Jean Alesi puis la F310 (1996), la première Ferrari V10 de Schumacher. La réorganisation totale du département technique entreprise par Jean Todt, qui fait venir Ross Brawn et Rory Byrne depuis Benetton, provoque néanmoins le départ de Barnard. Pas question de s’installer à Maranello.

La moto pour conclure

L’ingénieur rachète à Ferrari le bureau FDD, qui devient B3 Technologies et s’installe en tant que consultant indépendant. Il collabore avec Arrows à partir de 1997 et conçoit l’année suivante une A19 équipée d’une boîte de vitesse tout en carbone, malheureusement pas fiable. Par la suite, Barnard officie en tant que consultant après d’Alain Prost du temps de Prost GP, avant de terminer comme directeur technique du projet KR Modenas, l'originale moto 5 cylindres développée en 2003 sous l'impulsion de l’ancien champion du monde 500cc Kenny Roberts avec l'appui financier de Proton.

Perfectionniste, forte tête au franc parler, ce qui provoqua souvent des situations conflictuelles, John Barnard fait partie des grands ingénieurs qui ont contribué à changer la F1 et n 'ont cessé d'innover. Le titre de son autobiographie résume bien cette quête: "The perfect car". Rangé des voitures,  il n’a pas cessé de créer pour autant…puisqu’il travaille désormais sur la conception de meubles !

Images : wikimedia commons, flickr, formulapassion, McLaren

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