Elle n'a jamais couru, épisode 6 : Alfa Romeo SE 048SP
par Nicolas Anderbegani

Elle n'a jamais couru, épisode 6 : Alfa Romeo SE 048SP

Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. L'effet domino, vous connaissez ? Un moteur qui, à trois reprises, voit un programme capoter et le condamner à rester dans un musée.  C'est ce qui arriva à Alfa Romeo, dont les programmes sportifs furent passablement malmenés par Fiat et les humeurs de la FIA à la fin des années 80.

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Groupe C, une cible à abattre ?

Plus de 400 Km/h dans les Hunaudières. Cette folie résume à elle seule la démesure et la fascination qu'exerçaient les sport-prototypes du Groupe C. Introduite en 1982, cette catégorie est considérée aujourd'hui encore comme un "âge d'or" de l'Endurance. Elle connaissait un immense succès qui attirait des pilotes de renom et de nombreux constructeurs. Les manches du championnat du monde comptent quasiment autant de spectateurs que la F1, le Mans restant hors concours avec plus de 300.000 personnes. En 1989, Porsche, Sauber-Mercedes, Jaguar, Nissan, Toyota, Aston Martin, et bientôt Peugeot, se disputent le titre mondial. De quoi faire de l'ombre à la F1, qui se "contente" de Ferrari, Honda, Renault et Ford. Avec les Accords Concorde II signés en 1987, Bernie Ecclestone, tout en affermissant sa mainmise sur le business de la F1 via sa société commerciale la FOM, est aussi devenu vice-président de la FIA, ce qui lui confère un certain pouvoir sur les autres championnats labellisés FIA. De quoi agir pour préserver ses intérêts.

Surprise, la FIA annonce que la règlementation du Groupe C évoluera  à l'horizon 1991 : les prototypes C1 de nouvelle génération pèseront 750 kilos seulement et surtout...embarqueront un moteur atmosphérique de 3.5 litres de cylindrée, soit exactement les mêmes caractéristiques que les moteurs de F1. Les anciennes Groupe C de l'ère turbo seront encore tolérées pour une année de transition mais lourdement pénalisées, tandis que la 2e division des C2, dédiée aux petits constructeurs indépendants, disparaît. Le changement de règlementation surprend, mais les autorités, tout en promettant les prototypes les plus performants jamais conçus, prétendent que cela réduira les coûts et attirera davantage de marques. Vraiment ?

V10 cherche châssis

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La plupart des constructeurs sont dans l'expectative, mais Alfa Romeo saute sur l'occasion. En effet, depuis 1985, la firme milanaise a développé un V10, pensé au départ pour la F1. Mais les circonstances ont joué en défaveur d'Alfa:  premièrement, sur ordre de FIAT, la firme milanaise a rompu son partenariat avec Ligier puis le projet Alfa Romeo 164 V10 Procar, dans le cadre d'un championnat Silhouette, n'a jamais abouti, faute de championnat ! Ferrari ayant l'apanage de la F1 et Lancia celui du Rallye, FIAT oriente le Biscione vers les sport-prototypes, donnant ainsi une nouvelle chance pour son moteur. C'est aussi l’occasion pour Alfa Romeo de renouer avec une discipline où elle avait connu le succès dans les années 70 avec la Tipo 33. Abarth se charge donc de développer un prototype répondant à la nouvelle règlementation 1991.

Un beau design

Un groupe d'ingénieurs d'Abarth et d'Alfa Corse s'attelle donc à la conception du prototype qui reçoit un nom de code conforme à la nomenclature Abarth : SE 048SP, pour Sport Experimental 048 Sport Prototipo. Le design de l'ingénieur ex-Osella Petrotta est  conventionnel mais élégant et efficace. Le châssis était composé d'une monocoque en fibre de carbone, avec les radiateurs montés à l'avant, des enjoliveurs de roue arrière réducteurs de traînée, des roues arrières carénées et couvertes (comme sur les Jaguar XJR) sans oublier la calandre traditionnelle Alfa Romeo sur le nez. L'aileron arrière, plus basique que celui aperçu sur les XJR-14 ou 905, montrait encore un important travail aérodynamique à accomplir. En attendant que le châssis 048 soit prêt, le développement a été entamé avec un autre modèle cobaye, l'Abarth SE047SP. C'était simplement une ancienne Lancia LC2 Groupe C sur laquelle on avait greffé le fameux V10 de la 164 Procar. Un V10 3.5 litres à 72° dont la dernière version délivrait 620 ch à 13 300 tr/min et 383 nm de couple à 9500 tr/min.

V10 contrarié

Mais pendant les essais moteur, les ingénieurs se rendent compte que le V10 Alfa, conçu à la base pour des sprints de F1, n'allait pas tenir la cadence en Endurance. À plusieurs reprises, l'entraînement par courroie du moteur cassa, entraînant d'innombrables soupapes tordues et laissant présager d'une fiabilité catastrophique. La direction de FIAT décréta alors de remiser au placard ce bloc alfa "maudit", et d'installer à la place le moteur Tipo 036 V12 de Ferrari à 60 soupapes et injection directe, celui directement issu de la monoplace 641 F1. Avec 680 chevaux, le bloc Ferrari donnait satisfaction en terme de performance, à défaut de satisfaire le staff Alfa Romeo piqué à vif dans son orgueil.

Fin prématurée

Nouveau rebondissement en septembre 1990 quand FIAT ordonne l'abandon du projet. Gianpiero Moretti, créateur de l'équipementier MOMO, était sur les rangs pour engager la 048SP mais l'affaire ne fut pas conclue, précipitant sans doute la décision. Alfa Romeo est alors réorientée vers les courses de tourisme, avec un nouveau projet, la 155 GTA, qui sera promise à un bel avenir. La décision fut finalement judicieuse, car la nouvelle formule atmo 3.5 litres du Groupe C périclita rapidement.

Ecclestone a-t-il cyniquement préparé la mort du championnat du monde d'Endurance ? En tous cas, le choix des constructeurs était évident : les nouveaux moteurs atmosphériques exigés avaient entrainé une explosion des coûts. Une saison du nouveau Groupe C avoisinait le budget d'une équipe moyenne de F1 pour un retour sur investissement bien moindre, en termes de retombées économiques et de couverture médiatique, malgré les promesses qui furent faites en ce sens. De plus, les grilles de départ maigrissaient à vue d’œil, la plupart des petites structures privées étant incapables de suivre la course aux armements ou même de pouvoir acquérir ces machines à titre privé.

Dans cette logique là, quitte à développer un moteur de F1, autant l'engager dans la discipline reine, bien plus rentable ! A l'issue de la saison 1991, Mazda se retire suite à l'interdiction des moteurs rotatifs, de même que Jaguar et Mercedes, qui désormais lorgne vers la F1 avec Sauber. Seuls restent Toyota et Peugeot, dont le V10 de la 905 servira de base au V10 F1 introduit en 1994. Les constructeurs, les équipes et le public ont déserté, si bien qu'en 1992, la FIA annonce que le championnat 1993, faute de concurrents suffisants, est annulé. Ce n'était ni la première ni la dernière fois que les bouleversements règlementaires de la FIA plongeaient un championnat dans le précipice (petite pensée pour l'ITC, le FIA GT, le WRX et on tremble pour le Rally 1...)

Privée de compétition, la SE 048SP fit juste une petite démonstration en 1992, avant de prendre place dans le musée Alfa Romeo d'Arèse puis de ressortir en 2010 au festival de Goodwood. Vraiment dommage...

Images : flickr, Alfa Romeo, Kevin Van Campenhout

Les précédents épisodes :

Épisode 1 : Lancia ECV

Épisode 2 : Ferrari 637 Indycar

Épisode 3 : Audi Sport Quattro RS002

Épisode 4 : Alfa 164 Procar

Épisode 5 : Toyota 222D

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Pour résumer

Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. L'effet domino, vous connaissez ? Un moteur qui, à trois reprises, voit un programme capoter et le condamner à rester dans un musée.  C'est ce qui arriva à Alfa Romeo, dont les programmes sportifs furent passablement malmenés par Fiat et les humeurs de la FIA à la fin des années 80.

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