Alfa et Ligier, destins décroisés
Revenue en F1 à la fin des années 70 d'abord en motoriste de Brabham puis avec un projet 100% maison châssis et moteur, Alfa Romeo a raté le virage de l'ère turbo. Les résultats ne sont pas à la hauteur, les saisons 1984 et 1985 étant même catastrophiques. Fin 1985, Alfa Romeo se retire en tant que constructeur mais continue de fournir son V8 Turbo à la petite écurie Osella abonnée aux fonds de grille, exigeant néanmoins en 1988 que le moteur s'appelle également Osella, histoire de ne pas trop entacher l'image du Biscione.
Malgré l'échec de son projet, Alfa Romeo n'a pas abandonné la F1 pour autant et développe même un nouveau 4 cylindres turbo. En 1986, un partenariat de fourniture du moteur est conclu avec Ligier, qui en a assez de payer ses V6 Renault trop chers. Cette année-là pourtant, le décès tragique d'Elio De Angelis au Castellet agit comme un détonateur : la FISA annonce avec fracas que les moteurs turbo seront bannis de la F1 et remplacés à l'horizon 1989 par des moteurs atmosphériques de 3.5 litres de cylindrée.
Ça tombe bien, car le deal avec Ligier prévoit justement la fourniture par Alfa Romeo d'un moteur atmosphérique lorsque la nouvelle règlementation entrera en vigueur. Depuis 1985 en effet, les ingénieurs italiens travaillent sur un...V10 atmosphérique révolutionnaire, qui tourne déjà sur le banc ! L'ingénieur d'Agostino a validé ce choix, qui doit fournir le meilleur compromis entre V8 et V12. Fait méconnu, Alfa est donc le précurseur du V10 en F1, juste avant Renault qui lancera ses propres études sur un V10 après son retrait de la F1 fin 1986.
Bernie le grand manitou
Mais à l'intersaison 1986-1987, patatras ! Ligier teste le 4 cylindres avec René Arnoux, qui n'y va pas par quatre chemins dans la presse : le moteur est une vraie m**** ! Ni une, ni deux, humiliée, Alfa Romeo rompt le contrat avec Ligier deux semaines avant le début de la saison ! Sans moteur, l'écurie tricolore rate la 1ère course de la saison 87 avant de se rabattre en urgence sur le dépassé V8 Megatron (ex-BMW).
En réalité, si les déclarations peu diplomatiques d'Arnoux sont la raison officielle de la rupture, officieusement, c'est FIAT qui a mis le holà : Alfa a été racheté par le groupe en 1986 et il est hors de question pour la firme turinoise de voir Ferrari et Alfa s'écharper en F1. Le cheval cabré sera le seul représentant de FIAT en F1 et Alfa devra aller courir ailleurs....Le Biscione se retrouve ainsi avec un moteur V10 sur les bras, qui a coûté une coquette somme de développement. Mais heureusement, il y a un sauveur : Bernie !
En effet, au même moment, Bernie Ecclestone cherche à se débarrasser d'un poids, son "spararap du capitaine Haddock" : l'écurie Brabham. Certes, c'est à la tête de cette écurie légendaire que le rusé manager anglais a débuté dans les années 70 son ascension vers le pouvoir, mais le sort de l'écurie ne l’intéresse plus guère. Début 1987, Ecclestone a ratifié avec son vieil ennemi Jean-Marie Balestre les "Accords Concorde II", qui lui garantissent une mainmise absolue sur le business F1 et même un droit de regard sur les autres championnats FIA. Comparé à l'empire commercial qu'il est en train de se construire, Brabham est devenu le cadet de ses soucis, d'autant plus que l'écurie n'est plus que l'ombre d'elle-même : le génial ingénieur Gordon Murray est parti, BMW est parti et les résultats font peine. Il faut vendre rapidement ce "boulet".
Formule S
Ecclestone a une idée pour agrémenter encore plus le show de la F1 : pourquoi ne pas refaire le coup du Procar, ce championnat de support des grands prix qui avait été lancé en 1979 avec la fameuse BMW M1 ? L'idée du big boss, c'est de lancer une formule Silhouette spectaculaire, la Formule S, un peu sur le modèle de la Nascar, mais en plus sophistiqué : des bolides ressemblant de l'extérieur aux berlines de monsieur tout le monde, mais avec un châssis et des moteurs de F1 ! C'est presque l'esprit de l'ITC des années 95/96. Qui plus est, cela pourrait peut-être faire de l'ombre au Groupe C, la catégorie reine de l'Endurance qui à l'époque accueille de nombreux constructeurs (Jaguar, Porsche, Mercedes, Nissan, bientôt Peugeot) et fait de l'ombre à la F1.
Miracle, un constructeur se montre très vite intéressé : Alfa Romeo ! Il faut dire que l'anglais avait de bonnes relations avec la firme milanaise. N'était-ce pas avec Brabham que Alfa Romeo était revenu dans a catégorie reine, en 1976 ? Voilà l'occasion pour les italiens de faire coup double : caser leur fameux V10 et faire la promotion de leur nouvelle berline, la grande et majestueuse 164, la plus racée des 4 sœurs du programme "Tipo 4" (Alfa 164, Fiat Croma, Lancia Thema, Saab 9000). Alors même que le nouveau championnat Procar n'est pas clairement défini ni garanti, Alfa Romeo se lance dans l'aventure et...rachète Brabham à Ecclestone, afin d'avoir une base pour développer le châssis !
K2000 italienne
L'Alfa Romeo 164 Procar est donc construite et développée courant 1988. De l'extérieur, en effet, cela ressemble juste à une 164 qui aurait été légèrement revue par Abarth. Ou si elle s'était appelée Audi, on aurait pu la nommer "164 Abt Sportsline". Caisse surbaissée, jantes carbone, bas de caisse et spoiler arrière, une berline musclée pour papa pressé. Par contre, à l'intérieur, c'est plus du tout la même confiture !
Le châssis est une monocoque carbone avec carrosserie kevlar ultra-légère et des suspensions "push rod" type F1. Le moteur, en position central arrière, est un original V10 3500cc avec un angle de 72°, donné pour 620 chevaux à 11800 tr/min et un couple exubérant de 390 Nm à 9500 tr/min. Le tout ne pesant que 750 kilos, la 164 est un vrai missile, qui atteint 100 Km/h en 2"1 secondes et peut monter jusqu'à 340 Km/h, soit plus que les F1 de l'époque ! A Monza, en 1988, avant le grand prix, la 164 Procar fait une démonstration avec Riccardo Patrèse au volant. La berline métamorphosée fait son petit effet en accélération avec un magnifique son mais, faute de pneus Michelin pas très adaptés, les deux tours de circuit sont effectués à un rythme peu soutenu et ne laissent pas un souvenir impérissable. Pire, face aux coûts exorbitants que semble promettre cette nouvelle formule, aucun autre constructeur n'emboîte le pas d'Alfa Romeo. Le Procar ne verra jamais le jour et la 164 restera à l'état de prototype. Alfa tentera de recaser, encore une fois, son V10 dans un prototype Groupe C, mais là encore, la fin prématurée du championnat fera de ce V10 Alfa un moteur maudit. On retrouvera néanmoins une petite partie des ingénieurs ayant travaillé dessus au sein de la Scuderia Ferrari qui, à son tour, passera au V10 en F1 à partir de 1996.
Sources : Motorsport magazine, Autosprint, Alfa Romeo
Images : Alfa Romeo, wikimedia commons