En son absence, Carlos Ghosn ne pourra pas être jugé au Japon. Car le droit japonais ne prévoit pas de procès par contumace et "nous n'avons pas l'intention de changer cela", a répondu la ministre de la Justice, Masako Mori, interrogée mardi sur ce point par l'AFP.
Mais la fuite au Liban du magnat d échu de l'automobile ne clôt cependant pas l'affaire au Japon.Un procès devrait avoir lieu malgré tout, pour juger l'Américain Greg Kelly, ancien bras droit de Carlos Ghosn chez Nissan, inculpé et arrêté en même temps que lui pour des rémunérations différées non déclarées. Nissan plaidera aussi coupable sur ce volet de l'affaire, une façon pour l'entreprise d'acter la responsabilité de son ancien patron, quitte à écoper aussi d'une lourde amende.
Mardi, à la veille d'une conférence de presse très attendue de M . Ghosn à Beyrouth, la justice japonaise a émis un mandat d'arrêt contre son épouse Carole pour faux témoignage, tandis que le gouvernement a tenté de déminer le terrain en défendant les bases du code pénal nippon, diabolisé par le camp Ghosn. "L'expression de +justice de l'otage+, souvent employée vis-à-vis du système japonais, n'a pas lieu d'être, car il n'est pas exact que les interrogatoires visent à obtenir des aveux", a affirmé un responsable du gouvernement sous couvert de l'anonymat. "Les arrestations se font sur la base de soupçons avérés, immédiatement notifiés à l'intéressé, avec un mandat d'arrêt délivré par un juge, et les inculpations reposent sur des pièces à conviction", a-t-il développé.
Perplexe
Les procureurs estiment que Carlos Ghosn devait être arrêté et aurait même dû rester en détention jusqu'à son procès, face au risque de fuite à l'étranger, un scénario qu'ils craignaient depuis le début. Sa libération sous caution était selon eux une faveur très risquée.
Sa fuite digne d'un film d'espionnage oblige aussi ses défenseurs à un exercice de style rare: désapprouver publiquement l'attitude de leur plus prestigieux client, exprimer une sidération doublée d'une colère, mais aussi assurer qu'ils n'y sont pour rien et tenter de justifier son geste en dénonçant les pratiques à leurs yeux iniques des procureurs.
"Cette affaire est basée sur une enquête totalement illégale, constitutive d'un abus de l'autorité officielle de poursuite pénale à des fins déloyales. Il s'agit d'un cas de discrimination contre la race, la nationalité et la situation sociale de M. Carlos Ghosn", avait dénoncé dans un document remis en octobre au tribunal le discret maître Hiroshi Kawatsu, la véritable tête pensante de son trio d'avocats japonais.
En dépit de ces mots forts et de la requête en nullité qui les accompagnait, Carlos Ghosn était "perplexe" sur les capacités de ses défenseurs à le faire acquitter. "Il craignait que le procès et ses suites ne prennent des années. Il a déjà 65 ans", a confié à l'AFP un proche ne souhaitant pas être nommé.
La parole à l'accusé
Avant l'équipe formée par Junichiro Hironaka (surnommé "l'innocenteur" ou "le rasoir"), Hiroshi Kawatsu et Takashi Takano, Carlos Ghosn avait déjà épuisé un avocat, Motonari Otsuru, qui, devant la presse, semblait davantage défendre le système judiciaire nippon que son client. Il avait dû jeter l'éponge en février 2019, après un énième refus de libération sous caution de M. Ghosn.
Ses trois successeurs avaient chacun des aptitudes complémentaires mais n'ont pas toujours brillé: M. Hironaka, qui a décidé de mettre fin à sa carrière après le fiasco de l'évasion humiliante de M. Ghosn, s'est contredit plusieurs fois sur les conditions de liberté sous caution de son client.
M. Takano, lui, s'est illustré par son idée jugée après coup saugrenue d'avoir déguisé M. Ghosn en ouvrier de voirie à sa sortie de détention provisoire en mars dernier, dans l'espoir vain d'éviter les médias. L'avocat avait dû s'excuser pour "avoir abîmé en quelques minutes l'image que Carlos Ghosn s'était construite en plusieurs décennies".
La conférence de presse de l'intéressé mercredi, qui débutera à 22H00 heure de Tokyo (13H00 GMT), sera suivie avec grand intérêt au Japon, où depuis le début de l'affaire Ghosn la presse a été surtout abreuvée de fuites émanant de Nissan et des enquêteurs.
L'argument de la "conspiration pour faire tomber Ghosn", avancé par sa défense, n'a guère convaincu l'opinion publique japonaise face à la somme d'accusations étayées de photos, copies de messages et autres éléments à charge montrés aux médias nippons.
Par AFP