30 ans déjà: Paris-Dakar 1989, une victoire à 10 francs
par Nicolas Anderbegani

30 ans déjà: Paris-Dakar 1989, une victoire à 10 francs

L'édition 1989 du plus célèbre rallye-raid est l'une des plus controversées. Peugeot restait sur deux succès, en 1987 avec Ari Vatanen et en 1988 avec Juha Kankkunen, après un scénario rocambolesque digne de Michel Vaillant.

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Peugeot seul au monde

En 1989, l'équipe Peugeot est ultra favorite avec les 405 T16. Ari Vatanen veut venger l'affront de 1988, quand il avait été mis hors course par les commissaires pour s'être présenté en retard au départ  après le rocambolesque vol de sa Peugeot pendant la journée de repos. Le nouveau de la bande se nomme Jacky Ickx, qui a rejoint le lion après ses succès avec Porsche et sa pige en 1987 avec Lada. Mitsubishi aligne une sacrée armada avec notamment Pierre Lartigue et Patrick Tambay, mais on voit mal comment la firme de Sochaux pourrait perdre.

Dès le départ, le ton est donné: lors du prologue, Ari Vatanen part...en tonneau 300 mètres après le départ ! C'est sans gravité (la porte conducteur est arrachée tout de même...) mais cela augure d'une bataille de chiffonniers. Ickx prend le dessus à la régulière, notamment dans la partie Libyenne du rallye, mais Vatanen cravache et ne ménage pas sa monture pour rattraper son retard sur le champion belge qui excelle dans la gestion de son avance.

La 11e étape qui va de Niamey à Gao marque l'apogée de ce duel. Les deux pilotes foncent à tombeau ouvert, se doublent et se redoublent, prenant tous les risques en se livrant un terrible mano à mano. Vatanen est revenu à moins de 3' au général sur Ickx mais à force d'attaquer comme un forcené, il finit par partir à la faute et fait plusieurs tonneaux, ne devant son salut qu'à quelques motards qui l'aident à remettre sur ses roues une 405 bien cabossée. Quand le "finlandais volant" (c'est le cas de le dire) arrive au bivouac avec le toit enfoncé et le pare-brise cassé, ses explications confuses pour justifier le piteux état de sa monture -il serait passé sous un arbre (sic)- ne convainquent pas Jean Todt, le directeur sportif de Peugeot Sport, qui finit par apprendre la vérité par l'intermédiaire d'un motard qui a assisté à la cabriole du finlandais. Ickx lui-même reconnaît que la rivalité est devenue limite : "On est allé trop fort, j'ai failli faire un tonneau par l'avant. La voiture a dû souffrir. Depuis quatre jours c'est dur, très dur" admet-il.

Alea jacta est

13 ans avant le fameux épisode du Grand Prix d'Autriche 2002 qui suscitera une polémique bien plus forte encore, Jean Todt va prendre alors une décision qui fera couler beaucoup d'encre : Peugeot dominant outrageusement la course avec plus de 2 heures d'avance sur le premier poursuivant, il est hors de question de mettre en péril ce succès assuré à cause d'une rivalité incontrôlée entre ses pilotes. Todt veut appliquer une consigne de course pour mettre un terme au combat. Qui de Vatanen, le héros intrépide de Peugeot, ou de Ickx, admirable d'intelligence de course, aura le dernier mot ? Todt décide, sous le regard incrédule de son entourage, d'improviser :  le vainqueur du Dakar sera décidé par le sort d'une pièce de 10 francs qu'il tire de sa poche et qui sera lancée à pile ou face !

La pièce tourne dans les airs et retombe sur le côté pile qui désignait Ari Vatanen. Bon perdant, Ickx accepte le sort et justifie la décision : "Depuis quelques jours, nous prenions de plus en plus de risques. Jean Todt a choisi la sagesse et je lui donne raison." Ce n'est pas le cas du copilote de Jacky Ickx, Christian Tarin, qui furieux, fonce faire ses bagages pour quitter le rallye. Il faudra tout la diplomatie de Ickx pour l'en dissuader et le convaincre de remonter dans la 405 T16 le lendemain. Quant à la pièce, devenue un gri-gri, elle finira sur le porte-clé de Jean Todt.

A la reprise de la course, Vatanen passe Ickx qui se résout sagement à la seconde place. Le belge a hésité, a entamé à fond la spéciale post-tirage au sort avant de se raviser. Alors que le rallye semble joué, cet impayable Ari commet une erreur de navigation et perd du temps dans l'avant-dernière étape. Les deux voitures se suivaient puis ont pris des directions différentes à la sortie d'un village, sauf que Vatanen s'est trompé de cap.Ickx,qui pensait que le Finlandais le suivait à quelques centaines de mètres, continue comme si de rien n'était et...reprend presque 6 minutes d'avance sur Vatanen : il se retrouve, de nouveau, en tête du rallye ! Vatanen est furieux et pense que le Belge a repris sa parole."Ari est convaincu que j'ai roulé vite, mais c'est faux, je l'assure. Il a pris une mauvaise piste à la sortie d'un village, mais je ne pensais pas avoir une telle avance sur lui. Je n'ai aucune intention d'aller contre les consignes de Jean Todt, et je serais respectueux envers notre accord de Gao". Don't acte.

Il n'en est rien en effet. Obéissant mais sans doute soucieux de montrer qu'il est le vainqueur moral de la course, Ickx s’exécute comme le fera Barrichello sur l'A1 Ring:  il s'arrête à 200 mètres de ligne d'arrivée, sur la plage du célèbre lac rose et attend Vatanen pour lui laisser la victoire. 3'44 séparent au classement final les deux Peugeot. Les célébrations sonneront tout de même un peu faux...

Pluie de critiques

Ce final arrangé, qui illustre à merveille la polémique des consignes de course, suscite à l'époque une vive indignation. 10 ans après sa création, le Paris-Dakar a déjà bien changé de nature, le temps des baroudeurs et des aventuriers ayant laissé la place à un show médiatique certes très populaire mais désormais lié aux investissements des constructeurs. La bataille chevaleresque des gladiateurs des temps modernes ne fait pas le poids face aux intérêts stratégiques des grands groupes. Jean-Marie Balestre, alors président de la FISA, fidèle à son habitude, n'y était pas allé par le dos de la cuillère : « Pour nous, le sport automobile doit rester un sport d’hommes, pas un sport de combinaisons financières ou industrielles. Nous allons prendre de nouvelles mesures pour casser les équipes d’usine dans les grandes compétitions automobiles. (…) On pourrait croire à l’intervention d’une justice immanente car c’est Jacky Ickx, avec Porsche, qui a introduit l’arsenal des équipes d’usine dans le Paris-Dakar, potentiel qui dénature la philosophie de cette course et décourage les pilotes amateurs majoritaires. Aujourd’hui, M. Ickx reçoit en retour ce boomerang. Cette décision à pile ou face, prise à grand fracas de médias, ridiculise Peugeot, ridiculise le Paris-Dakar et fait injure à tous les participants ainsi qu’au sport auto. »

Ainsi s'acheva l'une des plus belles batailles qu'ai donné le Dakar, entre deux pilotes de grande classe, aux caractères et aux styles diamétralement opposés, mais figurant tous les deux au Panthéon des grands champions.

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Pour résumer

L'édition 1989 du plus célèbre rallye-raid est l'une des plus controversées. Peugeot restait sur deux succès, en 1987 avec Ari Vatanen et en 1988 avec Juha Kankkunen, après un scénario rocambolesque digne de Michel Vaillant.

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