Petit rappel des faits. Carlos Ghosn, emblématique patron multi-casquettes au sein de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi a été placé en garde-à-vue au Japon pour des soupçons de fraude fiscale. Sur les 5 dernières déclarations, au lieu de déclarer près de 10 milliards de yen (plus de 75 millions d'euros au cours actuel), Carlos Ghosn aurait caché la moitié pour ne déclarer que 4,7 milliards de yen.
Arrêté à la descente de son jet privé, Carlos Ghosn a été placé en garde-à-vue. Au Japon, la garde-à-vue peut durer 23 jours ! L'affaire a fait la une de toute la presse et des journaux télévisés. Désormais, passé le choc de cette arrestation, beaucoup sont étonnés des différentes révélations qui commencent à arriver, ainsi que de la réaction des autres dirigeants de Nissan.
Hiroto Saikawa enfonce Carlos Ghosn
En effet, le parquet indique que Nissan a activement collaboré à l'enquête en transmettant des informations et en diligentant même une grande enquête interne. Ceci est peu habituel au Japon qui a plutôt tendance à "laver le linge sale en famille". De plus, Hiroto Saikawa, président exécutif de Nissan nommé par Ghosn lui-même, a enfoncé son patron. Dans une conférence de presse, il a évoqué "de nombreuses autres malversations, telles que l'utilisation de biens de l'entreprise à des fins personnelles".
Au Japon, plusieurs médias évoquent une filiale de Nissan qui aurait acheté des résidences luxueuses. Carlos Ghosn avait alors le droit de s'y rendre gratuitement selon son bon vouloir. L'utilisation du jet privé est aussi mise sur la place publique. Là aussi, cela déroge aux règles tacites nippones. En effet, la notion d'abus de bien social est plus "laxiste" au Japon qu'en France par exemple. Et voir des patrons profiter de largesses de la part de l'entreprise qu'ils dirigent n'est pas rare. Au contraire. Cette arrestation a suffi pour faire ressortir toutes les rancœurs envers un "cost-killer" qui jusqu'à présent était un sauveur et sans doute envers Renault vu parfois comme un parasite qui vampirise une partie non négligeables des profits de Nissan.
Nissan et Mitsubishi ont convoqué chacun un conseil d'administration. Dès jeudi, Carlos Ghosn ne sera vraisemblablement plus le patron. "C'est un problème que tant d'autorité ait été accordée à une seule personne" déclare Saikawa durant la conférence de presse. Il va même jusqu'à évoquer "le côté obscur de l'ère Ghosn". Pire, le Président exécutif de Nissan balaie l'iconographie qui veut que Carlos Ghosn soit présenté comme un sauveur charismatique (on rappelle que Ghosn a même un manga à son image) et réécrit l'histoire. Désormais, le redressement de Nissan n'est plus le fruit de la volonté d'un seul homme, mais d'un groupe de personnes (ce qui en soit n'est pas faux, mais ces hommes, comme Saikawa lui-même, ont été placés là par...Carlos Ghosn). De là à y voir une guerre de pouvoir entre Renault et Nissan, il n'y a qu'un pas que beaucoup d'analystes franchissent allègrement.
"Coup d'état" de Nissan ?
Surtout qu'en coulisse, certains se lâchent maintenant que le boss n'est plus là. Dans le quotidien Yomiuri, un responsable de Nissan, sous couvert d'anonymat balance : "Il demandait à ses subordonnés de remplir des objectifs difficiles, mais lui-même continuait à percevoir un salaire élevé même quand les activités de Nissan n'allaient pas si bien".
Kentaro Harada, analyste chez SMBC Nikko Securities, se montre dubitatif sur la survie de l'Alliance dans son état actuel. "Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que l'alliance se retrouve affaiblie. Cela va-t-il changer l'équilibre du pouvoir (entre les parties française et japonaise NDLA), c'est la principale question". Harada ajoute même : "Pourquoi les malversations n'ont-elle été découvertes que maintenant, et comment M. Ghosn, avec Greg Kelly, auraient-ils réussi à falsifier des documents tout seuls dans leur coin".
Autant de questionnements qui font dire à beaucoup de monde que certains dirigeants de Nissan, dont le numéro 2, Hiroto Saikawa, ont précipité la chute de Carlos Ghosn, sauveur de Nissan et de Mitsubishi devenu finalement plus gênant qu'autre chose.
Qui pour succéder à Ghosn ?
En France, on évite de faire des vagues qui pourraient déséquilibrer le fragile ensemble qu'est l'Alliance et on appelle à la stabilité. Il est vrai que contrairement à des empires industriels comme VW ou Toyota, l'Alliance est un subtil équilibre entre partenaires dans lequel Nissan, sauvé par Renault "il y a longtemps" est devenu largement plus gros que Renault.
Alors qu'il était question d'un rapprochement encore plus fin entre Renault et Nissan à l'initiative de Renault, le constructeur japonais (enfin les dirigeants) a visiblement des velléités d'indépendance ou de prise de pouvoir. Le nouveau rapprochement aurait quasiment rendu "irréversible" l'alliance dans son fonctionnement actuel.
D'aucuns n'hésitent pas à réclamer la tête de Carlos Ghosn à l'Etat Français faisant fi de la présomption d'innocence qui prévaut pourtant. PCF et France insoumise demandent presque d'une même voix que la France demande la démission de Carlos Ghosn et diligente une enquête fiscale sur lui. Du côté de Bercy, on indique que Carlos Ghosn est en règle avec l'administration fiscale.
Pour le moment, le groupe Renault décide, d'attendre : "Dans l’attente d’informations précises émanant de Carlos Ghosn, Président-Directeur Général de l’entreprise, les Administrateurs consultés expriment leur attachement à la défense de l’intérêt du groupe Renault dans l’Alliance. Le Conseil d’Administration de Renault se réunira au plus vite". Toutefois, une direction intérimaire pourrait être rapidement (dès ce soir ?) nommé pour pallier l'absence (et pour cause) du patron du groupe Renault.
La grande question désormais va être : qui pour succéder au "gourou" Carlos Ghosn ? Sans un patron unique, l'Alliance peut-elle résister ? La malédiction du numéro 1 mondial a encore frappé !
Illustration : Nissan
avec AFP