Comment faire une saga sur les concepts-cars français sans évoquer la carrosserie Heuliez, très prolixe en la matière ? Collaborant avec plusieurs constructeurs, l'entreprise de Cerizay a produit des concepts dont certains ont été produits en série et d'autres sont restés à l'état de concepts.
Aujourd'hui ce n'est pas un, mais 3 concepts cars français que nous allons évoquer. La Citroën BX Dyana, la Renault Super Van Cinq et la Peugeot 306 Shooting brake. Trois versions, trois visions du "break de chasse" ou du break utilitaire.
Heuliez, plus de 90 ans d'une histoire mouvementée
Fondée par Louis Heuliez en 1920, la société prend le relais de la tradition familiale de charrons. Heuliez réalise alors des carrosseries industrielles ou des bus sur base de camions. Au sortir de la seconde guerre mondiale, Louis meurt et Henri prend la tête de la société, avec son frère Pierre. C'est la "belle époque". Il faut reconstruire le pays et Heuliez se diversifie en créant une filiale de construction de...mobilier scolaire, puis de bureau ! La société BRM fut séparée plus tard d'Heuliez et a survécu jusqu'en 2016, date à laquelle, victime d'une escroquerie elle mettra la clé sous la porte.
Continuant la diversification de l'entreprise impulsée par Gérard Queveau, Heuliez devient l'un des plus grands bureaux d'étude et de construction de prototypes et de petites séries pour les constructeurs. C'est la naissance de DEA (Division Etudes Automobile) qui deviendra France Design en 1985.
C'est surtout cette époque phare qui est connu du grand public. Heuliez a produit plus d'une douzaine de concepts-cars, mais aussi une douzaine de véhicules de petite série dont la Citroën BX 4TC, la Peugeot 604 limousine du Président Giscard d'Estaing, entre autres. La maison de Cerizay et Bressuire a également développé et industrialisé les toits rétractables de la Peugeot 206 CC, celui de l'Opel Tigra Twin Top, et même des toits pour Lamborghini.
L'arrêt de la collaboration entre Heuliez et PSA, en 2007, entraînera le déclin de la société. La crise mondiale de 2008 finira de l'achever. En 2010, la société est découpée en plusieurs entités. Heuliez-Bus continue sa vie, Heuliez (sous-traitance industrielle) a vécu, quant à l'autre partie, c'est l'aventure Mia Electric, partie sur la base de la Heuliez Friendy.
Citroën BX Dyana - 1986
En 1985, Heuliez lance la production de la Citroën BX Break. Les berlines sont assemblées à Rennes-La Janay, mais les break viennent de Cerizay. Avec la XM Break, la BX Break donnera du travail à l'atelier Heuliez pendant des années. Partant de la BX Break, Heuliez veut développer un break de chasse et convaincre Citroën de le mettre en production.
Pour cela, un prototype est développé début 1986. Les portières avant sont légèrement allongées et celles de derrière disparaissent purement et simplement. Deux immenses vitres les remplacent mais Heuliez conserve le décroché de ligne de caisse à l'arrière. Les montants des portières arrières sont toujours là. Heuliez les masque à l'extérieur par une sérigraphie sur la vitre. Les baguettes de protection sont épaissies et descendues par rapport au break. Elles intègrent la calèche, logo de Heuliez, en honneur au passé de charrons de la famille. Les barres de toit disparaissent, mais le ce dernier conserve son "bosselage".
Le hayon reste identique. Toutefois, Heuliez peint le début de la carrosserie en noir pour agrandir visuellement la partie vitrée. Ainsi est née la Citroën BX Dyana. Pourquoi Dyana ? Car c'est un brake de chasse et que la déesse de la chasse dans la mythologie romaine est Diane. Le "D" de Dyana représente un arc et une flèche. D'ailleurs, Heuliez produit des photos de son concept-car avec des chasseurs.
Pour convaincre Citroën de l'intérêt du projet, Heuliez envisage différentes configurations. Avec une banquette, simple deux places utilitaire, ou même avec une banquette supplémentaire pour des enfants (l'ancêtre des 7 places actuelles). Le concept-car construit reçoit des sièges en cuirs, et une épaisse moquette dans le coffre, et des baguettes aluminium. La voiture est présentée au Salon de l'Automobile de Paris en octobre 1986.
Citroën ne donnera pas suite et la BX Dyana restera un concept-car. En 2012, lors de la liquidation d'Heuliez, le prototype (en état de marche) a été adjugé 10 127 euros avec 35 km (!) au compteur.
Renault Super Van Cinq - 1985
Ne pas confondre... En 1979, Renault est encore présent aux USA. La Renault 5 y est vendue comme Renault Le Car depuis 1976. Heuliez a l'idée un peu folle de proposer la Renault Le Car Van. Toute la partie arrière de la Le Car s'habille de panneaux polyester avec de petit hublots. L'intérieur est garni de moquette rouge épaisse kitchissime. un arc-en-ciel "baba-cool" ceinture la voiture. Une roue de secours est ajoutée au hayon, façon van américain. Elle sera produite en (très) petite série.
Mais, ici, c'est la Renault Super Van Cinq dont il est question. On est en 1985 et la Renault 5 a laissé sa place à la Renault Super 5 depuis 1 an. Au début, la Supercinq n'est disponible qu'en 3 portes. Heuliez s'engouffre dans la brèche pour proposer un concept car de Renault avec une porte coulissante à l'arrière.
Partant d'une base de Super Cinq, chez Heuliez on découpe la citadine et on rallonge un peu l'empattement pour avoir plus de place pour les passagers. En revanche, Heuliez ne peut pas se contenter de mettre deux "vulgaires" portières arrières. La société fait donc plancher ses ingénieurs sur une solution innovante et qui apporterait un plus. L'objectif est évidemment de se voir confier la production de la voiture par la régie Renault, même si cette dernière taille massivement dans les dépense sous l'impulsion de Georges Besse appelé pour sauver le losange.
La Super Van Cinq n'aura qu'une porte à gauche, et deux à l'arrière. Le toit est rehaussé légèrement pour accueillir le mécanisme d'ouverture de la porte arrière. On l'a dit, cette dernière est coulissante. Heuliez s'inspire des bus construits non loin et escamote le bras d'ouverture dans le toit. Le bas de la portière est guidé par un rail caché dans le longeron, le rail milieu est intégré entre la carrosserie et le pare-choc. Pratiquement invisible.
Une fois fermée, difficile de penser à une portière coulissante. L'intérêt est que cela dégage une large ouverture pour sortir des places arrières. En outre, cela minimise l'espace nécessaire pour ouvrir la portière. Pratique en ville. Enfin, pour installer les enfant à l'arrière, la large ouverture est des plus pratique.
A l'intérieur, Heuliez met à profit le coffre pour y intégrer deux sièges escamotables. Vous noterez que les ceintures sont absentes. Elles ne deviendront obligatoires à l'arrière qu'en 1990 (!) on le rappelle. Heuliez remplace la banquette par deux fauteuils à l'arrière. A noter qu'il est indiqué 2/3 places. La place du milieu semble scabreuse.
La roue de secours est mise à l'intérieur, côté gauche du passager arrière. Le tout est habillé d'un velours beige "top moumoute". Ah les années 80. La voiture est présentée au Salon de Paris de 1985. Heuliez la voit déjà en Taxi, ou en véhicule de grande remise (!). Ou quand la puce des villes joue les limousines. Hélas, cela restera un concept-car. Le prototype (feux arrières factices, pas de carte grise, etc.) fut vendu 5 957 € en 2012.
Peugeot 306 Shooting brake
Peugeot s'est fait le spécialiste des concepts-cars servant d'écrin à la présentation d'une technologie, ou juste d'un style. Cela lui vaut une réputation de créateur de "concepts-cars qui ne voient jamais le jour en série".
Hélas, la Peugeot 306 Shooting brake, ou brake de chasse est de ceux-là. A la fin des années 90, Peugeot va lancer son nouveau moteur diesel, le HDi. Pour lui fournir un écrin digne de cette nouveauté, Peugeot souhaite un véhicule concept-car. La 306 connait sa deuxième phase depuis 2 ans, et les ventes s'essoufflent. Peugeot souhaite les relancer. La 306 sera donc la base de ce concept-car.
La voiture est totalement recarrossée. Le pare-brise est plus incliné, les portières avant allongée et arrondies. Quant à la ligne du pavillon, elle est elle aussi rabaissée et fuyante sur l'arrière. Pas de montant C sur la Peugeot 306 shooting brake. Heuliez escamote même le montant central et on a l'impression d'avoir une immense surface vitrée d'un seul tenant.
A l'avant, les vitres sont sans montant mais conservent un système de poignées classiques qui dénote un peu. Les feux optent pour une glace "lisse", comme sur la Peugeot 406 phase 2, elle aussi dévoilée en 1999. A l'arrière, adieu les vilains feux de série. Ils sont remplacés par des feux horizontaux très étirés. Ils reprennent les feux de la grande Peugeot 607 toujours pour l'année 1999. Le hayon est lissé et découpé en partie basse pour laisser le pare-choc d'un seul tenant contrairement au break de série.
La carrosserie est peinte d'une couleur nacrée irisée. Cette dernière change de teinte selon les reflets de la lumière. A l'intérieur, Heuliez fait appel à ses selliers. Cuir brun, moquette bleu, bois. Les deux sièges arrières se rabattent pour avoir un coffre immense. L'inspiration des matériaux et des couleurs louche du côté de l'équitation. Toute la planche de bord est gainée de cuir. Sans doute un peu "too much", mais l'important est d'impressionner.
Impressionner pour le "bijou" que contient ce superbe écrin. Le tout nouveau moteur diesel 2 litres HDi de 90 chevaux. Injection directe rampe commune haute pression, Peugeot rattrape son retard dans le diesel et veut le faire savoir.
Ce Peugeot 306 Shooting Brake n'a rien à envier aux créations signées Pininfarina pour le Lion. Hélas, la 306 arrive en bout de course et chez Peugeot et le design évolue sous la patte de Gérard Welter. Ce magnifique break de chasse restera un très bel écrin pour un moteur trop roturier pour être honnête.
Illustration : Heuliez, Artcurial