Caterham, après que son actuel propriétaire Tony Fernandes s'en soit lassé et tourné son attention sur une autre branche de son empire, laissant tranquille son acquisition sise dans une petite usine pimpante à Crawley, s'est recentrée sur sa mission sur cette terre qui est de perpétuer dans sa pureté originelle l'évangile Chapmanien du Light is Right. Caterham a toujours fait, et continue de faire, des gammes et des impros sur la Lotus devenu Caterham Seven dont Graham Nearn, le fondateur de la marque, a racheté la licence à Chapman en 1973 après avoir déployé des trésors de persuasion pour l'obtenir de ce dernier.
L'intuition de Nearn était que la Seven, même après que Lotus eut décidé de l'abandonner suite au manque de succès de la Series 4, avait encore quelques bonnes années dans les roues. Une intuition géniale. Que ce soit sous forme de kit car ou de voiture toute faite, la Seven, sans modification fondamentale, a continué à trouver son public année après année, siècle après siècle même, et Caterham, en pleine forme, vient de réaliser son meilleur chiffre de production depuis vingt ans.
La grande nouveauté de ces dernières années, en dehors de l'escalade des supercar killers que sont la 500 puis 620 R, est la mise sur le marché de la plus petite Seven depuis les années soixante, la 160 (ou 165 selon les pays). Inspiré par une proposition de son importateur au Japon, marché majeur de la petite anglaise, Caterham a décidé de renverser la course à la puissance et de greffer un tout petit moteur dans la voiture. Puisque c'est du Japon que venait l'idée et les premiers travaux, c'est un trois cylindres 660 cm3 turbo Suzuki qui a été choisi. Le K6A propulse depuis vingt ans des dizaines de modèles Suzuki, dont le Jimny actuellement, et se trouve sous des millions de capots dans toute l'Asie et en particulier au Japon. Dopé par une reprogrammation de l'ECU pour lui donner un peu plus de peps, le moteur s'est avéré faire parfaitement la paire avec le châssis ultra-léger et la 160 a été reçue avec enthousiasme par les amateurs. Son prix - relativement - contenu en fait une parfaite introduction à l'univers de la Seven, son poids plume et son appétit d'oiseau l'inscrivent parfaitement dans l'air du temps. Bref, c'est un succès.
Lorsqu'il a été question de fêter les soixante ans de la Seven, c'est logiquement vers la 160 que s'est tourné Caterham, avec là encore une excellente idée : remonter le temps et produire une Seven pensée à la manière des années soixante, appelée Sprint, du nom d'un modèle prévu par Lotus a l'époque mais jamais produit. Soixante exemplaires pour l'Europe, soixante pour le Japon, numérotés pour une série collector.
Nous avons eu l'opportunité d'essayer au début de l'année l'exemplaire frappé du numéro 1 sur 60, en fait la voiture de pré-série qui fait office de voiture de presse chez Caterham Japon, lors d'un après-midi dans les lacets du Hakone Turnpike, devenu depuis l'année dernière le Mazda Turnpike, lieu idéal pour profiter des qualités de la Seven, comme d'ailleurs de toute voiture un peu sportive.
Style extérieur
Pas de néo-rétro, d'hommage ou d'évocation ici, Caterham ne s'est pas embarrassé de ces fausses pudeurs de designer et a directement repris sans plus de manières les plans produits dans les années soixante. A tel point que lors d'un récent rassemblement d'historiques auquel nous prêtions la main, alors que la toute nouvelle Seven Sprint se retrouvait à côté d'une authentique Series 2 de 1961, il fallait vraiment se concentrer pour trouver les différences. La Sprint abandonne les garde-boues avant minimalistes des Seven actuelles au profit des grandes ailes et reçoit une roue de secours montée à l'arrière.
Caterham n'est pas connu pour son obsession du detail mais s'est fait violence avec cette auto : un galon blanc court le long des ailes et décore la capote, les feux sont ronds et cerclés de chrome. La Sprint réhabilite même l'enjoliveur, pièce mal-aimée synonyme de nos jours de plastique et de finition radine, puisque les petites roues en tôle de la 160, repeintes en blanc cassé, sont couvertes de superbes capuchons polis frappés du logo de la marque. La touche finale est le lettrage élégant Sprint sur le panneau arrière et de discrets Union Jacks sur les flancs. Le résultat final ne détonnera pas à côté d'une MG TC ou d'une Triumph TR3.
N'oublions pas la jolie teinte vert d'eau décrite sous le nom Camberwick Green au catalogue, une facétieuse allusion à une célèbre série télévisée pour enfants des années soixante et un patronyme qui sent bon le tweed, le thé de fin d'après-midi, les scones et les sandwiches au concombre. C'est parfait, vraiment.
Style intérieur
Et le spectacle continue dans l'habitacle (on n'ose parler d'intérieur pour une auto qui ne s'apprécie vraiment que sans sa capote) tout en rouge. Là encore, le service minimum habituel laisse place à une ambiance très cozy, avec sièges siglés, capiton, des compteurs Smiths cerclés de chrome sur le tableau de bord et un splendide volant Moto-Lita à cerceau en bois. Une plaque numérotée souligne que l'on est membre d'un club très restreint. Seule fausse note, la vilaine barre générique d'interrupteurs tout droit sortis du catalogue de quelque euro-compacte de grande série et qui fait un petit peu tâche au centre de la planche de bord.
Paradoxalement, ces interrupteurs tristement banals sont un rappel salutaire de ce à quoi on échappe lorsque l'on est dans la Sprint. Heureusement les interrupteurs autour du volant, pour les feux et les clignotants, sont de jolis basculeurs métalliques raccords avec le reste de la scène que l'on a devant les yeux. Par contre le bip strident des clignotants, directement greffé de quelque scooter taïwanais, déjà subi dans d'autres Seven, est d'autant plus horripilant dans ce cadre exquis.
Entre parenthèses, ça n'est pas pour dire mais pourquoi diable a-t-on abandonné dans nos voitures modernes l'élégante simplicité de ces panneaux remplis de cadrans, comme sortis d'une boutique d'horloger, pour les remplacer par ces mers de plastique plus ou moins dur au dessin inutilement complexe et aux froides lueurs numériques ?
Au rayon "On n'est pas chez Bentley", la soudure du tunnel de transmission à proximité du court levier de vitesse poli est très, euh, artisanale. De même le revêtement capitonné du tunnel de transmission entre les sièges ne tient décidément pas accroché à son bouton pression.
Alors on pourrait essayer, sans grande conviction, d'invoquer l'habituelle excuse de la pré-série pour ces petites imperfections, mais la vérité est que ce n'est pas très important au fond, même si cela ressort plus dans cette voiture que dans les Seven habituelles, très peu portées par nature sur le bonheur matériel. Et de toute façon, une fois descendu dans le siège conducteur, on ne peut que succomber à l'enchantement que distille cette ambiance délicieusement datée.
Motorisation
Pour une fois la Sprint échappe a la nomenclature tirée du rapport poids/puissance qui étage le reste de la gamme, mais sous le vocable spécifique, il s'agit bien d'une 160. Rappelons le principe du chiffre dont Caterham désigne ses voitures : c'est la puissance rapportée à la tonne. 160 veut donc dire, sachant que la voiture pèse 500 kg pour faire simple - en fait un peu moins que ça - qu'elle dispose de 80 chevaux, tirés sans trop de difficulté du petit trois cylindres Suzuki de 660 cm3 affublé d'un turbo. Une puissance à deux chiffres donc.
Ca n'a l'air de rien sur le papier, mais dans la réalité ça commence à pousser gentiment dans cet écrin poids plume. 6,5 secondes de 0 à 100 km/h, ça permet de remettre les idées en place au SUV "sportif" de la file d'à côté qui toisait de haut ce qu'il pensait être une vieille anglaise asthmatique. Sayonara, sir ! Surtout que l'étagement de la boîte emprunté au Jimny est court, très court, et qu'avec le supplément de couple du turbo l'auto ne se fait pas prier pour détaler dès que l'on enfonce la pédale.
Le résultat net, c'est que l'on s'amuse fermement avec la puce, comme on peut le faire avec les autres modèles de la gamme (mettons de côté la 620 R qui génère plutôt ce qui se rapproche de la terreur pure, mais c'est une autre histoire). On ne dira jamais assez tout le bien qu'il faudrait de l'allant des petits moteurs Suzuki à monter dans les tours, parfaite illustration de l'expression tirée de la sagesse populaire qui compare les petites nerveuses et les grosses paresseuses.
La Seven Sprint mérite donc bien son patronyme. Mais il y a un léger mais. Caterham manque cruellement d'acousticiens et le bloc Suzuki ne chante pas comme un Ford Kent période Summer of Love. Il siffle à l'accélération et pschitte joyeusement au lever de pied, comme le turbo moderne qu'il est, mais cette bande son va à la Sprint comme un featuring de Kyary Pamyu Pamyu au milieu d'un single des Kinks. Ca peut avoir son charme pris séparément, mais quelque part ca n'est pas raccord.
Evidemment, on peut s'en sortir avec quelques manipulations simples sur l'échappement latéral que la morale et la maréchaussée réprouvent mais que l'homme de Caterham, qui a l'esprit large, ne décourage pas et propose même sous le comptoir avec un clin d'oeil, pour rendre le trois cylindres plus vocal. Il faudra y aller avec prudence cependant, pour ne pas tomber dans la faute de goût, cette auto n'ayant pas non plus une tête à cracher les décibels bosozoku, question d'ambiance.
Un mot sur la consommation. Nous serions bien incapable de vous donner un chiffre étant donne que la jauge de carburant, comme pour toutes les Seven que nous avons expérimenté et ça commence à faire un échantillon significatif, se comporte de façon tout a fait fantaisiste. Mais la mine déçue du pompiste qui, après bien des efforts pour péniblement remplir goutte à goutte le trou d'épingle qui fait office d'orifice du réservoir - avec d'ailleurs un joli capuchon à charnière pour la Sprint - confirme ce que nous explique la physique élémentaire : 490 kilos déplacés par 660 cm3, ça ne peut pas consommer grand chose, sauf à être au taquet en permanence, et encore. On peut donc l'esprit tranquille reporter le budget carburant de l'auto sur le sien propre lors des soirées au pub. Ca c'est de l'écologie non punitive !
Sur la route
On connait bien le caractère particulier des Seven sur la route : la jouissance sans filtre, en prise direct avec le bitume, sans nounou électronique, une expérience précieuse qui tend à illuminer la journée dès que l'on fait plus de cinquante mètres, et qui ne va pas sans que le conducteur ait à donner de sa personne. L'exact opposé de la conduite autonome.
Dans la Sprint, les choses changent quelque peu de la Seven typique. Le grand volant rend la tenue de cap moins physique, quoiqu'un chouïa moins précise, qu'avec le petit cerceau Momo auquel on est habitué. On perd la vision des roues avant, cachées dans les ailes. Les étroits pneus Avon n'ont pas l'adhérence bubble gum des semi-slicks des versions plus extrêmes mais la voiture, avec une répartition des masses optimale, est très équilibrée et progressive, et prévient de ses réactions avec plus d'avance que les Seven plus puissantes, et à vitesse moins élevée.
Bref, on s'éloigne du bolide pour quelque chose d'un peu plus civilisé, quelque chose d'un roadster. On est plus tenté d'adopter un rythme coulé et d'enrouler les courbes en profitant du paysage plutôt que de garder les yeux rivés sur le prochain point de corde, ce qui est parfaitement adapté aux routes utilisées lors de cet essai. Attention, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas arsouiller avec la Sprint. Bien sûr qu'on peut. Ca reste une Seven pur jus. Mais elle est à l'aise dans un rôle de voiture de tourisme, au sens premier du terme.
Et puis comme la 160, la Sprint est plutôt facile à vivre dans les embarras de la rentrée sur Tokyo du fait de sa légèreté générale et de la docilité de la mécanique et des commandes. S'il est une Seven presque vivable au quotidien, c'est elle.
Tarif et conclusion
Il est un peu vain de parler de tarif à ce stade étant donné que tous les exemplaires ont déjà trouvé preneur depuis longtemps. Les heureux propriétaires, qui reçoivent leurs exemplaires au fur et à mesure qu'ils sont assemblés par la main experte des braves gens de Caterham Cars, ont dû se séparer de 28 000 euros. Cela peut sembler cher dans l'absolu mais on peut raisonnablement arguer d'un bon investissement, puisque les Seven en général ont tendance à garder leur valeur, et d'autant plus pour un modèle aussi particulier que celui-là. Et puis s'offrir la légende, ça n'a pas de prix...
La Caterham Seven Sprint est aussi désirable et passionnante en 2017 qu'en 1957, et elle a plus que jamais la vie devant elle. Quand on vous disait qu'on nageait en plein paradoxe temporel...
Crédit images : PL Ribault / le blog auto
+ | Exquise sous toutes les coutures |
Facile à conduire pour une Seven |
Génère à tous les coups un sourire éminemment contagieux et sans antidote connu |
- | Motorisation un peu trop moderne pour le concept |
Toutes vendues ! |
Caterham Seven Sprint |
Moteur |
Type et implantation | Trois cylindres en ligne turbo compressé |
Cylindrée (cm3) | 658 |
Puissance (kW/ch) | 80 à 7000 |
Couple (Nm) | 107 à 3400 |
Transmission |
Roues motrices | Arrière |
Boîte de vitesses | Manuelle à cinq rapports |
Châssis |
Suspension avant | Double triangulation |
Suspension arrière | Essieu rigide Multi-liens |
Freins | Disques AV/ Tambours AR |
Jantes et pneus | 155/65R14 |
Performances |
Vitesse maximale (km/h) | 161 |
0 à 100 km/h (s) | 6,5 |
Consommation |
Cycle urbain (l/100 km) | NC |
Cycle extra-urbain (l/100 km) | NC |
Cycle mixte (l/100 km) | 4,9 |
CO2 (g/km) | 114 |
Dimensions |
Longueur (mm) | 3390 |
Largeur (mm) | 1470 |
Hauteur (mm) | 1090 |
Empattement (mm) | 2225 |
Volume de coffre (l) | De quoi mettre le toit, les portes, le casque pour les track days, et la brosse à dents pour le tourisme. Evidemment, pour les clubs de golf il faudra trouve autre chose. |
Réservoir (l) | NC |
Masse à vide (kg) | 490 |