Sega, de Pearl Harbor aux salles d'arcades
Dés 1940, les Etats-Unis massent énormément de troupes à Hawaï, où elles n'ont pas grand chose à faire. Trois businessmen ont l'idée d'installer des machines à sous dans les bases militaires. Un business très juteux. Après la guerre, les Etats-Unis bannissent les "bandits manchots" de nombreux endroits. Le gestionnaire décide de se relocaliser au Japon, où le pays possèdent désormais de nombreuses bases. L'intelligence de Service Games (futur Sega), c'est de voir venir la mode du flipper dans les années 60, puis des bornes d'arcade dans les années 70. Au passage, il décide de créer ses propres jeux. Le conglomérat Gulf+Western (alors notamment propriétaire de Columbia) rachète la société, qui revient ainsi aux Etats-Unis. Les salles d'arcade poussent alors comme des champignons.
En 1983, tout s'écroule. Le marché des consoles est ultra-saturé. Les ventes sont décevantes alors que de nombreux fabricants (notamment Atari et Mattel) ont investi lourdement. Surtout, on accuse les consoles d'abrutir les joueurs et de détruire les tendons des mains. Les salles d'arcade sont également montrées du doigt. On dit que la mafia s'en sert pour blanchir de l'argent. Que des pédophiles rodent et kidnappent les enfants seuls. Gulf+Western prend peur et revend Sega à un groupe d'investisseurs japonais.
Enduro et Hang on, les précurseurs
D'emblée, les consoles proposent des jeux de voitures. Notamment autour de la Nascar, de l'Indycar et des dragsters. La représentation n'a rien d'évident. Le plus populaire, c'est la vue de dessus (avec des véhicules évoluant sur un décor fixe.) Mais certains jeux proposent des vues de profil et plus rarement, des vues depuis le véhicule. En 1982, Pole position propose une "vue en tierce personne", ce qui permet de voir où l'on va. Grand succès en arcade, ce jeu de simili-F1 est immédiatement porté sur console. Des clones de Pole Position fleurissent, dont Enduro (1983.) La grosse innovation de ce jeu, c'est de proposer de vrais niveaux. Le joueur roule ainsi de nuit, sur la neige, etc.
Pendant ce temps, Sega veut profiter du trou d'air pour rafler le marché de l'arcade. Son atout, c'est un programmeur, Yu Suzuki, passionné de maquettes et de conduite (moto et auto.) Hang on (1985) est un autre clone de Pole position, où la F1 est remplacée par une Moto GP. La force de Sega, c'est de créer une borne ayant une forme de moto, qui penche dans les virages. Une révolution, saluée par les gamers. Pour plus de réalisme, Suzuki a longuement enfourché sa moto. Le souci, c'est que la population de joueurs fans de motos est restreinte.
Out Run
Sega songe rapidement à un "Hang on avec une voiture". Suzuki part en Europe et aux Etats-Unis, où il lime le bitume. Hasard ou coïncidence, à la même époque, Tom Matano, un ingénieur de Mazda, fait de même avec V705, le premier prototype roulant de la MX-5. Comme Matano, Suzuki est séduit à l'idée de traverser les immenses espaces Américains, dans un cabriolet rouge. Plutôt qu'un jeu de simili-F1, le programmeur songe désormais à un jeu où l'on roule sur différentes routes et dans différentes conditions, comme dans Enduro. Grâce aux progrès technologiques, on peut transfigurer le jeu. Terminées, les routes droites et les paysages monotones ! Place aux dénivelés, à des décors variés, à davantage de voitures en bord de route, etc. A chaque fin de niveau, on peut choisir entre deux directions, ce qui multiplie d'autant les possibilités de parcours. Et enfin, il est possible de sélectionner sa musique !
Et comme pour Hang on, Sega soigne la borne d'arcade avec volant à retour de force, deux vitesses et deux pédales. A sa sortie, à l'automne 1986, Out Run ringardise les autres jeux. Pendant des années, il squatte cafés et salles d'arcade, jusqu'à l'arrivée de Daytona USA (également du à Sega et Suzuki.)
Out runners
Comme tout jeu d'arcade, Out Run a droit à divers portages : Sinclair Spectrum, Amstrad CPC, Amiga, PC sous Dos... La nouveauté, c'est que Sega fabrique ses propres consoles. Le crédo : jouez aux jeux d'arcade Sega chez vous ! Out Run (ainsi que Hang On, After Burner ou Space Harrier...) devient le fer de lance de la Master System, de la Mega Drive, puis de la Game Gear. La Master System a des possibilités très limitées et le portage perd beaucoup d'effets (dénivelés, scrolling des décors...) Mais Out Run permet néanmoins de lancer la console. Notez que la cartouche tient sur 2Mo de mémoire Rom, ce qui était énorme pour l'époque !
Sega n'hésite pas non plus à tirer profit de sa poule aux œufs d'or. On voit ainsi fleurir Out Run USA, Turbo Out Run, Battle Out Run, Out Run 2019, Out Runners... Et bien entendu, d'autres éditeurs sortent le papier carbone, avec quelques variantes (simili-Dakar, avec des ennemis sur lesquels il faut tirer, avec des voitures à intercepter, etc.) D'ailleurs, Battle Out Run est en fait un clone de Chase H.Q., l'une de ces copies !
A l'essai
L'association MO5 possède deux bornes du jeu. L'occasion de passer de la théorie à la pratique.
Le mot-clef, c'est "pour 1986". Par rapport aux simulations de voitures antérieures, il n'y a pas photo. Les graphismes, les animations, l'impression de vitesse... Pour davantage de réalisme, il n'y a pas de turbo ou de jump. Pas question non plus de rouler pied au plancher tout du long.
L'autre point bien cerné par Sega, c'est la part de rêve. Dans Kung Fu Master d'Agnès Varda, un adolescent trompe l'ennui en jouant au jeu éponyme. Sur sa borne d'arcade, il devient un héros qui part délivrer une princesse. Dans Out Run, on roule à bord d'une Ferrari Testarossa (on y reviendra) avec une jolie blonde, sur une route côtière. De quoi faire fantasmer le boutonneux qui vient de glisser une pièce de 2 francs dans la fente...
Après, bien sûr, ça reste un jeu de 1986. Déjà, il n'y a qu'une seule voiture disponible et on ne peut même en changer la couleur. Depuis, on s'est habitué aux menus d'options interminables. Ici, vous choisissez votre musique et c'est parti ! Les graphismes, volontiers cubiques, ont vieilli. Les décors sont répétitifs et les bruitages n'ont que peu de rapports avec le bruit d'une vraie voiture.
Ceci n'est pas une Ferrari
Personne n'est dupe : la voiture du jeu est une Ferrari Testarossa. C'est d'autant plus flagrant lors des sorties de route. Le modèle est sans doute choisi pour le glamour. Et dans cette version cabriolet, on peut voir les occupants.
En 2016, un éditeur recevrait sur-le-champ la visite d'un avocat mandaté par Ferrari. Il aurait le choix entre remodeler la voiture ou payer des royalties. Mais en 1986, les constructeurs sont moins à cheval sur la propriété privée. Ils commencent tout juste à demander des droits aux fabricants de modèles réduits. Les voitures des jeux vidéos sont jusqu'ici de gros pâtés. Les constructeurs ignorent superbement ce nouveau média. Les éditeurs évitent simplement les noms propres. Dans Chequered flag, typé F1, on peut choisir une "Ferretti Turbo" ou une "McFaster".
Turbo Esprit (1986) est le premier partenariat entre un éditeur de jeu et un constructeur. Avec Ferrari Formula One (1988), le cheval cabré apparait officiellement dans un jeu. Mais, faute de budget, les éditeurs doivent souvent faire le choix entre développer le jeu ou payer les droits. A de rares exceptions près, les simulations "licenciées" sont affreuses. Avec Lotus Challenge, Test drive, puis Need for speed, les constructeurs commencent à s'impliquer davantage dans la conception des jeux. Et plus question de mettre en scène gratuitement un modèle ! Luca di Montezemolo finit par comprendre qu'un bon jeu peut être profitable pour Ferrari (en terme d'image et de finance.) En 1999, Ferrari F355 Challenge est le premier bon jeu disposant d'une imprimatur des Rosso... Et c'est un jeu Sega.
Crédit photos : Joest Jonathan Ouaknine/Le Blog Auto
Merci à l'association MO5 pour le prêt de la borne d'arcade et des jeux