Le safety car est une drôle de voiture. Une voiture de série qui s'invite sur les circuits et mène la danse. A l'instar des race queens ou des transporteurs, les safety-cars ont leurs fans, qui ne s'intéressent qu'à cet élément, quitte à snober la course !
Le premier pace-car
Les différents historiens s'accordent pour dire que la toute première utilisation d'un safety car (ou pace car) remonte aux premières 500 miles d'Indianapolis, en 1911.
Les départs des premières courses ressemblaient à du rallye : les voitures s'élançaient une par une, à l'assaut d'une boucle de plusieurs dizaines de kilomètres de long. Avec l'invention du circuit permanent, il fallut inventer le départ arrêté. Mais il n'y avait pas encore de qualification : les voitures étaient placées dans l'ordre des numéros de course, lui-même basé sur les inscriptions. Compte tenu de la grande hétérogénéité des voitures et des pilotes, le départ tournait vite au chaos.
Carl G. Fisher, le "père" du speedway d'Indianapolis, recherchait en permanence des idées pour perfectionner son circuit. En 1911, il le fit paver et pour assurer le spectacle, il n'accueillerait qu'une seule course. Restait la question du départ. Il voulait un départ lancé, inspiré par le hippisme. Or, la procédure des courses de trot était encore rudimentaire : les trotteurs se mettaient côte à côte sur une ligne imaginaire et lorsqu'ils passaient la ligne de départ, le starter leur faisait signe de partir, ou il les arrêtait s'il jugeait l'alignement mal fait. L'autostart, avec une voiture imprimant le rythme et matérialisant la ligne, ne viendra que bien plus tard. Fisher eut une idée : il piloterait lui-même une voiture qui permettra aux bolides de prendre de la vitesse ; un autostart avant l'heure. Et comme il était concessionnaire dans le civil, il se ferait de la pub en pilotant une de ses voitures, en l'occurrence une Stoddart-Dayton pour 1911.
Ainsi, pendant les premières années du speedway, Fisher prendra le volant à chaque édition. Barney Oldfield, doyen des pilotes et co-actionnaire de la concession de Fisher, le relayera ensuite. Après la première guerre mondiale, un tournant s'opéra. Les grandes épreuves d'avant-guerre comme la Coupe Vanderbilt, le Grand Prix des Etats-Unis ou l'épreuve d'Elgin s'effondrèrent. Les 500 miles d'Indianapolis devinrent incontournables et les constructeurs comprirent l'intérêt publicitaire du pace-car. Packard envoya son ingénieur vedette, Jesse G. Vincent, mener la danse. Puis MM. Stutz, Duesenberg et Rickenbacker pilotèrent eux-mêmes leurs propres créations. En 1926, Louis Chevrolet -qui n'avait plus aucun lien avec la marque éponyme- pris le volant d'une Chrysler.
Néanmoins, jusqu'ici, cela restait bon enfant. Puis en 1935, Ford voulut marquer le coup. Edsel Ford pensait que les Miller-Ford allaient se balader et il voulait capitaliser sur cette victoire annoncée. La firme à l'ovale bleue fut la première à payer pour fournir le pace car et elle fut aussi la première à inscrire "Official pace-car" sur les portières. En course, les Miller-Ford firent un bide; politiquement et financièrement, le coup fut très dur pour l'héritier de l'empire. 29 ans plus tard, Henry Ford II -fils d'Edsel- s'attendait de la même façon au triomphe de Jim Clark avec la Lotus-Ford. De nouveau, l'ovale bleu mit le paquet avec une Mustang, de nouveau le favori renonça et de nouveau le buzz devint une bouse.
En Europe, avec l'apparition des qualifications et de plateaux plus homogènes, le départ arrêté n'était plus problématique. Après-guerre, la SCCA lorgna vers l'Europe. D'où des courses de voitures de sport, sur circuits "routiers", avec départ arrêté. Il y avait tout de même un pace-car. En général, le concessionnaire MG ou Triumph du coin profitait du tour de chauffe et du tour d'honneur pour entrer en piste. Et pour être sûr que tout le monde le voit, une reine de beauté locale montait à ses côtés.
La Nascar préféra s'inspirer d'Indianapolis (même si le gratin d'Indy les méprisait) et les départs étaient lancés. Le concessionnaire local de Chevrolet ou de Ford prenait le volant. Lorsque la série délaissa les anneaux en terre battue pour les superspeedways, les moyennes bondirent et il fallut revoir les procédures. Il fut décidé qu'en cas d'incident le pace-car retournerait en piste, afin de ralentir le peloton, le temps de nettoyer la piste.
L'idée arrive en Europe
Lors du Grand Prix de Hollande 1973, Roger Williamson effectua un tonneau avec sa March, qui prit feu. Le malheureux resta prisonnier de sa voiture et mourut d'asphyxie. David Purley, un autre pilote March, s'arrêta, attrapa un extincteur et se jeta dans les flammes pour sauver son ami, en vain, dans une scène qui reste parmi les plus poignantes de l'histoire de ce sport. Les commissaires de piste, remarquables de passivité, déclarèrent qu'ils n'avaient pas pu intervenir car ils auraient dû traverser la piste alors que les voitures roulaient.
En conséquence, au Grand Prix du Canada, la F1 expérimenta pour la première fois l'utilisation d'un pace-car. Lorsque François Cevert (Tyrell) et Jody Schekter (McLaren) s'accrochèrent, la VW-Porsche 914-6 d'Eppie Wietzes entra en piste... Devant la mauvaise voiture. La course devint une farce. Colin Chapman félicita Emerson Fittipaldi, mais c'est Peter Revson (McLaren) qui fut déclaré vainqueur, tandis que la petite amie d'Howden Ganley (Iso) agitait une feuille de chronométrage démontrant que l'Australien a gagné !
Suite à ce fiasco, la F1 refusa d'entendre parler de neutralisation. A chaque accident, ce sera un drapeau rouge et la course reprendra avec un deuxième départ, ce qui prend beaucoup de temps. Or, avec la télédiffusion des courses, il n'était plus possible de rallonger la durée d'une épreuve. L'idée du pace-car revint, sous le terme "safety-car". En 1993, la F1 imposa à chaque organisateur de fournir un safety-car. Monza choisit une Ferrari 456 GT, Interlagos une Fiat Tempra, Imola une Opel Vectra, etc. Au Grand Prix de Monaco 1995, c'était une Clio Maxi, confiée à Jean Ragnotti. Entre deux sessions, le rallyman effectuait un show. Il perdit le contrôle et termina dans l'Arrows de Taki Inoue, garée dans le bas-côté depuis les qualifications...
Professionnalisation
Bernie Ecclestone n'apprécia guère le gag de Monaco. Pour 1996, un fournisseur unique fut choisi, Mercedes. Le safety car fut confié à un pilote différent à chaque course. Les mauvaises langues diront que Mr E. cherchait surtout un prétexte pour gonfler le coût du plateau, facturé aux circuits. En 1997, plus de rotation : Oliver Gavin devint le premier pilote permanent du safety-car, Alex Ribeiro celui du medical car. Bernd Mayländer succéda à Gavin en 2000.
Le règlement de la F1 évolua et les neutralisations avec interventions du safety-car se multiplièrent. Les pilotes durent apprendre à gérer le restart. En cas de pluie battante, le départ pouvait s'effectuer derrière la voiture de sécurité. Son usage fit tâche d'huile. On vit arriver des safety-cars en DTM, en GT-FIA, aux 24 heures du Mans et après bien des réticences, dans les championnats hexagonaux. A l'instar de ce qui se passe aux Etats-Unis, le safety-car est devenu un enjeu commercial. Autrefois cachés, ils ont désormais droit à leurs propres communiqués et leur présentation officielle.
La banalisation du safety-car n'empêche pas les gaffes. En 1971, Indianapolis avait du mal à trouver un fournisseur de pace-car. Eldon Palmer, un concessionnaire Dodge, proposa de venir avec une Challenger, qu'il piloterait lui-même. Le jour J, Palmer lance le peloton, pied au plancher, puis il se rangea dans les stands. Le pilote est censé y rouler à vive allure, au cas où il y ait un carton et qu'on ait besoin de lui. A mi-longueur de la pit-lane, si le drapeau reste vert, le pilote doit s'arrêter et se mettre en position... Palmer avait matérialisé le point au préalable, mais quelqu'un avait enlevé son repère. Il continua bêtement de souder et percuta la tribune VIP/presse qui faisait face à l'allée. Pas de bobo, mais une Dodge froissée et un invité exceptionnel, John Glenn, qui eut la peur de sa vie !
Les premières années du WTCC étaient marqués par des voitures qui entrent en piste au ralenti, si possible sur piste humide, sous le nez du peloton... Lors des essais du Grand Prix du Brésil 2002, Enrique Bernoldi (Arrows) sortit violemment. Le medical-car intervint et à l'instant où Ribeiro voulut sortir du véhicule, Nick Heidfeld (Sauber) arriva en luge et embarqua la portière. Pour le pilote brésilien très, très religieux, c'était un signe divin. Il raccrocha et se fit remplacer par Jacques Tropenat qui est à la fois médecin généraliste et gentleman-driver.
Crédits photos : Mercedes (photos 1, 6 et 7), Chevrolet (photo 2), Ford (photos 3 et 4), Nissan (photo 5) et Audi (photo 8.)