Les pilotes, ces frêles "tourneurs de boutons"
La première constatation que nous nous devons - malheureusement – d’établir, concerne l’intérêt du spectacle offert par la Formule Un. Sans tomber dans le piège d’une nostalgie exacerbée, il va sans dire que les weekends monotones sont devenus légion. La Formule Un s’est toujours présentée comme la vitrine technologique de l’automobile. Certes, il semble difficile de réfuter la chose. Cependant, la Formule Un n’est plus celle qui faisait rêver bon nombre d’entre nous. La Formule Un, c’est la discipline de la démesure, du grandiose, des innovations originales, du rugissement invraisemblable des moteurs, des dépassements qui ne semblaient pas réalisables avant qu’ils ne surviennent sous nos yeux, ou encore de l’effort physique qui mène parfois au bord de l’évanouissement. Il semble que nous en soyons – à notre plus grand malheur – désormais bien loin devant notre écran. Les pilotes sont, vulgairement, devenus des "tourneurs de boutons", des assistés via les communications radios, qui, d’ailleurs, prennent des allures de coups de fil permanents et incessants tant les échanges semblent continus.
Et que dire de la dimension physique ? Nous n’irons pas jusqu’à penser que les physiques des pilotes sont défaillants, bien au contraire. Nous sommes au courant qu’ils possèdent des préparateurs en tous genres. Cependant, il semble qu’il faille, désormais, être plutôt capable de se situer aux alentours des soixante kilos, plutôt que d’être en mesure de rouler vite tout au long d’une course. Une ineptie sans nom ! Tout cela est consubstantiel à la faiblesse des vitesses de passage en courbe, à cette gestion obsessionnelle des pneumatiques, qui, de fait, ne requiert pas aux pilotes d’aller puiser dans leurs réserves, d’aller chercher dans leurs retranchements. La Formule Un n’exige plus ce physique hors du commun, qui faisait des pilotes, ni plus, ni moins, que des surhommes. Elles sont loin les images de ces hommes luttant pour s’extirper de leur monoplace à l’arrivée. En lieu et place de cela, nous les retrouvons frais, parfois même ayant à peine transpiré. "Et alors ?" nous direz-vous. Mais cela s’en ressent sur le spectacle. Nous n’avons rien contre Max Verstappen, mais son accession précoce au monde de la Formule Un témoigne de ce changement des contraintes physiques infligées aux pilotes. Le jeune batave aurait-il pu encaisser, à dix-sept ans à peine, la puissance monstrueuse d’un turbo de 1300 chevaux en qualifications ? Nous pouvons être sceptiques.
Nous attendons toujours, bien naïvement, ce rebondissement de fin de course dû à ladite fatigue physique. Depuis quand un tel événement ne s’est-il pas produit ? Il semble que la probabilité soit désormais plus importante qu’un pilote sorte de la piste, déconcentré par une énième communication radio, ou une ixième manipulation sur le volant en lieu et place d’un regard attentif du prochain virage.
Les vrais pilotes sont dans les stands
D'ailleurs, la transition est toute trouvée. Le spectacle de la Formule Un ne résidait-il pas en les bruits stridents des moteurs à chaque week-end de Grand Prix ? Il va sans dire que cela stimulait les tympans. Auparavant, lorsqu'un Grand Prix s’avérait ennuyeux, le bruit des moteurs vous maintenait éveillé. Celui étouffé des unités de puissance d'aujourd'hui a plutôt tendance à offrir le forfait "berceuse et passage du marchand de sable".
Il semble que les hauts dignitaires, ou plutôt, LE haut dignitaire de la Formule Un, se soit rendu compte de la problématique que posent tous ces petits éléments énoncés précédemment. A terme, cela va se ressentir sur les droits télévisuels. Il arrivera un moment où la chute d’audience entraînera des révisions sévères, et si la Formule Un ne dévie pas de son itinéraire actuel, son grand argentier en paiera les pots cassés.
C’est pour cette raison que des tentatives de corriger le tir, voient le jour à chaque Grand Prix ou presque. La « réforme » des communications radio, qui a surgi de nulle part à Spa-Francorchamps cette saison, en est une des plus criantes démonstrations. Malgré l’intention claire derrière le changement, il apparaît évident que ce n’est pas suffisant. En effet, écuries et pilotes sont assez malins pour utiliser des codes connus seules des deux parties. A l’instar de ce qu’il se passe dans le cyclisme, les communications radio sont, ni plus, ni moins, que des étouffeuses de spectacle.
Laissons les pilotes gérer eux-mêmes leur monoplace. Ils en sont largement capables. D'ailleurs, au-delà de son immense talent, Sebastian Vettel, en piste, est plus qu'un pilote. Il est aussi commissaire embarqué (moins cette année certes), remontant la moindre irrégularité au directeur de course. Nous, le public, ce n’est pas ce que nous leur demandons, ce que nous attendons d'eux. Laissons-les se concentrer sur leur métier, qu’ils font si bien – pour la plupart - afin de nous offrir ce que nous sommes venus chercher en les regardant.
Fichez la paix aux ingénieurs !
A l’horizon 2017, plusieurs éléments pourvoyeurs de spectacle devraient faire leur retour. Les pneumatiques d’une largeur plus importante en sont la figure de proue. Ceux-ci devraient être en mesure de permettre de récupérer du grip mécanique, et ainsi donner aux pilotes la possibilité de passer plus vite en courbe. L'autre avantage notable concerne l’aspiration. Celle-ci devrait être favorisée. Deux éléments prépondérants pour une reprise de l’intérêt ? Le début d’une réelle prise de conscience ? Pas si sûr.
Ces développements, bridés, et dont le règlement change à chaque saison, voire pendant la saison même, ont une raison initiale tout à fait louable : limiter la mainmise d'une seule écurie sur la Formule Un. Par exemple, si l'une d'entre elles maîtrise la technologie du diffuseur soufflé, la FIA, sur avis de la FOM, l'interdit la saison d'après. Nous ne pouvons ici lister de manière exhaustive l’ensemble des dernières grosses innovations qui ont été interdites après seulement, une ou deux saisons. Cependant, il est tout de même possible de mentionner, entre autres, le F-Duct, le double-diffuseur, les diffuseurs soufflés, le système d'interconnexion des suspensions FRICS, les échappements à effet Coanda, ou encore les mass dampers chers à l'ancienne - et nouvelle - écurie Renault.
Si nous remontons encore plus loin, nous pouvons énoncer, chaque année ou presque, une ou deux innovations pour la performance dont on coupe les ailes. Tout cela, pour soi-disant rebattre les cartes au sein du paddock. Mais en fin de compte, le règne de telle ou telle écurie ne s'arrête pas comme cela. Depuis 1986 (30 saisons), nous avons eu celui de McLaren (quatre ans), de Williams (cinq ans) - avec toutefois un intermède Benetton - puis Ferrari (six ans et deux ans). Nous avons eu aussi la domination de Renault (deux ans) avant d'arriver aux quatre titres de RedBull, et aux trois de Mercedes. Il ne nous reste donc plus qu'à mentionner ce que nous avons choisi d'intituler « l'OVNI Brawn ». En 30 saisons, nous avons donc eu, grosso modo, (seulement) six écuries en haut de l’affiche plusieurs années consécutives.
Ces changements techniques incessants doivent, selon la FIA et la FOM, permettre aux Petits Poucets de ne pas être distancés. Mais bien au contraire, ces derniers pourraient développer sur deux ou trois années leurs versions de telle(s) ou telle(s) innovation(s). En changeant le règlement tous les ans, les grandes instances les remettent tout en bas de l'échelle, devant grimper encore un à un les paliers, quand les grosses écuries les gravissent plus vite, du fait de budgets deux à quatre fois plus importants. Ces changements techniques ont aussi pour but secondaire, de limiter à chaque fois la vitesse des monoplaces. Au final, nous en arrivons à la situation actuelle, au cours de laquelle les voitures sont "lentes", comme nous l'avons exposé ci-avant.
Une uniformisation générale
A cela, s'ajoutent les développements bridés, parce qu'interdits et de plus en plus encadrés, qui font que les voitures s'uniformisent de plus en plus. Ces dernières saisons, nous avons pu constater les museaux devoir aller de plus en plus bas, engendrant un souci majeur pour toutes les écuries : comment maximiser le flux aérodynamique qui alimente les soubassements et le diffuseur, générant de l'appui sans trainée ? Les premières réponses des écuries étaient globalement toutes différentes. Nous distinguerons environ cinq grandes voies de développement qui avaient émergé. Mais, par une nouvelle contrainte réglementaire, la FIA et la FOM ont décrété que cette saison, nous avons eu, tout au plus, deux museaux différents, avec comme seule "étrangeté", celui de Sahara Force India.
Uniformité et limitations techniques brident le spectacle en course, de la même manière que la restriction des essais privés. Grâce à ces derniers, les écuries pouvaient, à moindres frais, tester différentes solutions en conditions réelles, au lieu de passer des heures sur des simulateurs coûteux à mettre au point et à utiliser, ainsi qu'en soufflerie. En outre, ces essais privés étaient l'occasion de voir de jeunes pilotes en piste, ou d'autres, qui, grâce à leur compte en banque, s'offraient le grand frisson au lieu d'en voir de plus en plus en piste durant les weekends de Grand Prix.
Les pneumatiques jouent également un grand (mauvais) rôle dans l'uniformisation et l'aseptisation de la Formule Un. Le choix, limité à deux types de gommes, décidé seulement par le manufacturier unique Pirelli, bride immanquablement les stratégies des écuries. Nous avons bien de temps à autre des tentatives de décalage, avec un arrêt de moins, mais globalement, les stratégies sont toutes les mêmes. Fini le temps où l'audace sur un choix de pneumatique différent pouvait créer la surprise. Désormais, pour un "rebondissement pneumatique", il faut attendre une explosion, comme à Spa-Francorchamps cette saison.
La fiabilité, ennemie du spectacle et de la maîtrise des budgets
A ces limitations sans cesse augmentées, s'ajoutent les moteurs ou les boîtes de vitesses, qui doivent faire de plus en plus de Grand Prix (cinq actuellement). Il va sans dire que cela coûte très cher de faire du fiable performant. Les moteurs hybrides turbocompressés pourraient être bien moins onéreux qu'ils ne le sont actuellement, si la FIA et la FOM n'exigeaient pas une fiabilité qui n'a pas lieu d'être en Formule Un. Cela pousse les pilotes et les écuries à courir à l'économie, ainsi qu’à être prudents, là où avant, ils n'hésitaient pas à pousser la mécanique au-delà des limites. Cette fiabilité nous prive également d'une part importante du spectacle de la Formule Un, avec un plateau quasi-complet à chaque arrivée. Il en est terminé des rebondissements au dernier tour avec un moteur qui part en fumée, ou une boîte récalcitrante, qui permet à un Petit Poucet moins rapide, mais plus fiable, de grappiller le dernier point.
Autre élément qu'il ne faut omettre, et qui pourtant joue un rôle prépondérant dans la perte d'attractivité de la Formule Un ; les nouveaux circuits - tous dessinés par Herman Tilke - pour la plupart insipides. Ils suivent, tous sans exception, le même schéma, et n'offrent pas vraiment de morceau de "bravoure", à l’instar des tracés historiques. Tous ceux-ci ont une particularité forte, même si sous couvert de sécurité, il s'est développé une fâcheuse tendance à les gommer à coup d'asphalte honteux, tandis que ces nouveaux circuits sont dessinés sur ordinateur, et non façonnés par le relief existant. La piste vallonnée de Turquie est une des rares exceptions, mais elle ne fait malheureusement plus partie du - si exigeant - calendrier de la Formule Un. Nous pourrons citer aussi le circuit d'Austin, qui présente un vrai relief, mais ce ne sont là que de trop rares exceptions.
Et si finalement, c'était cette volonté farouche, et louable au demeurant, de toujours plus sécuriser le sport automobile, qui était en grande partie responsable des maux de la Formule Un ? En ralentissant des monoplaces devenues "trop" rapides et "trop" dangereuses à conduire, en apposant du bitume un peu partout dans les virages difficiles à prendre à pleine charge, en sortant la machine à pénalité dès que deux pilotes se frottent d'un peu trop près, on sécurise en effet la discipline autant que faire se peut. Mais ne transforme-t-on pas les gladiateurs qu'étaient les pilotes de la "grande" époque, en de simples catcheurs qui finissent par simuler des combats déjà écrits à l'avance ?
S'inspirer de ce qui fonctionne
Tous les sports automobiles souffrent-ils de ce mal ? Non ! Nous aimons à citer, parmi les exemples de championnats mondiaux qui conservent - où acquièrent - une forte aura : le WEC, qui couvre le rendez-vous mondial incontournable des 24 Heures du Mans, ou le World Rallycross, avec en point d'orgue, pour nous Français, l'étape de Lohéac. Qu'ont de plus que la Formule Un ces championnats ? Oh, trois fois rien. Mais bien malin est celui qui peut prétendre à trouver une formule commune entre tous ceux-là ; car si le WEC a libéré son règlement côté motorisation, il impose des cotes strictes aux voitures. De son côté, le WRX est encore plus drastique en ce qui concerne les exigences.
A l'heure actuelle, le sentiment qui prédomine est ambivalent. Le passionné ne peut renoncer à la Formule Un, mais il n'a d'autre choix que celui de s’efforcer de constater que la situation va de mal en pis. La Formule Un, sport démesuré, a justement perdu de cette démesure, bridée par les choix incessants, pas toujours bienveillants, de son chef trop omniprésent. Le gâteau financier est certes devenu énorme sous son règne, mais la Formule Un frôle l'indigestion, et les convives viennent à quitter la table. Il y a urgence.
Crédits photographiques : (1) (2) (3) Gilles Vitry - le blog auto ; (4) Formula1.com et le blog auto
Auteurs : Lucas Vinois et Thibaut Emme