Sur internet ou dans les prospectus, on trouve des pneus CEAT. Une marque a priori inconnue au bataillon. Un rapide tour sur internet nous apprend que c'est une marque indienne. Elle se spécialise surtout dans les montes pour utilitaires, SUV et citadines, à prix cassés.
Quel rapport peut-il y avoir entre des pneus bon marchés indiens et l'ex-première dame de France ?
Il faut remonter à la fin du XIXe siècle. La famille Tedeschi, installée à Turin, se lance dans le commerce de câbles. Une activité prospère. Virginio, le fils (qui accolera le nom de sa première épouse, Orsola Bruni, au sien) prend la suite. En 1925, il renomme la PME "Cavi Elettrici e Affini Torino" (CEAT.) Il bénéficie du développement du téléphone dans l'entre-deux guerres.
Grâce à Virginio, la famille bourgeoise de Turin devient l'une des premières fortunes d'Italie. L'ex-PME emploi des dizaines de milliers d'ouvriers. Avec un certain cynisme, CEAT se lance dans la fabrication de masques à gaz (en caoutchouc) peu avant la seconde guerre mondiale.
Après la guerre, il n'y a évidemment plus besoin de masques à gaz. Que faire du caoutchouc ? CEAT en fait des pneus.
En 1947, elle s'offre un panneau au dessus de la ligne de départ du Grand Prix de Turin. La course restera célèbre car Raymond Sommer y impose sa Ferrari face à la Talbot de Charles Pozzi. C'est la première victoire "mondiale" des Rosso.
Le pneu devient le produit-phare du groupe. Néanmoins, CEAT est un second couteau du secteur. Il manque d'audace technologique et commerciale, comme ses concurrents.
Parmi les nombreuses histoires qui courent sur les Bruni Tedeschi, on raconte que Virginio ne supporte pas Gianni Agnelli. Au point de le traiter de "plouc". Le problème, c'est qu'Agnelli est à la barre chez Fiat, omniprésent dans la péninsule. Une situation pas vraiment idéale pour les affaires...
Le groupe tente sa chance à l'étranger. Il ouvre des usines au Chili, au Brésil et en Inde (via une joint-venture avec Tata Group.)
Alberto Bruni Tedeschi prend la suite de son père, dans les années 60. On le dit davantage intéressé par son piano.
La famille prend ses distances avec CEAT. Géographiquement, d'abord : en 1975, fuyant les Brigades Rouges, elle s'installe à Paris. Puis, en 1981, en vendant l'entreprise à Pirelli. Alberto Bruni Tedeschi n'arrivait pas à transformer le groupe familial en multinationale. En plus, il a subi de plein fouet la crise de 1973. Enfin, Virginio, l'héritier désigné, a renoncé à la charge. Hasard ou coïncidence, Carla Bruni, petite sœur de Virginio, posera pour le calendrier Pirelli et fera des pubs pour Fiat et Lancia.
En 1983, Pirelli passe un accord concernant l'ex-filiale Indienne de CEAT. Le groupe RPG rachète ses parts, ainsi que celles de Tata. RPG récupère le nom et l'usufruit du groupe des Bruni Tedeschi. CEAT exporte aujourd'hui ses pneus jusque chez nous. Et parce que l'histoire est un éternel recommencement, RPG est aussi une entreprise familiale de taille moyenne. Depuis la mort du fondateur, R.P. Goenka, son fils Harsh est aux commandes.
Crédits photos : Lancia (photo 1), Fastgom (photo 2), Telecom Italia (photo 3), Musée de Turin (photo 4), Pirelli (photo 8) et CEAT (photo 9)