De la création de British Leyland Motor Corporation au naufrage de MG-Rover, il s'est écoulé près de 40 ans. Quatre décennies de restructurations, de fermetures d'usines, de reprises, d'espoirs... Quatre décennies d'agonie, jusqu'à ce que l'ex-colosse s'effondre.General Motors a longtemps été cité en exemple dans le monde automobile. En apparence, le modèle est imparable : une voiture, n marques, n réseaux, de quoi cibler plusieurs clientèles et vendre nxn voitures ! Bigger is better ! Dans l'immédiate après-guerre, on tente de dupliquer cette stratégie de l'autre côté de l'Atlantique.
Ainsi, en 1952, les groupes Nuffield (Morris, MG et Riley) et Austin fusionnent dans British Motor Corporation (BMC.) La nouvelle entité pèse un tiers du marché britannique, alors premier marché européen. Lord Nuffield dit en rigolant que BMC est l'acronyme de "bugger my competitor" (embêter mes concurrents.) L'état britannique encourage les fusions (toujours le modèle General Motors.) Le rival British Leyland s'offre Standard-Triumph et Rover, tandis que BMC rachète Jaguar. BMC a déjà des problèmes de ventes qui plafonnent et de syndicats très radicalisés (qui n'hésitent pas à bloquer la production pendant plusieurs semaines.) Le résultat de BMC plonge dans le rouge. L'état décide de nationalier, puis, en 1968, marie BMC à British Leyland.
Sur le papier, la British Leyland Motor Corporation est née d'un mariage de raison. BMC est spécialisé dans le bas de gamme ; BL est présent dans le premium et les utilitaires. C'est une galerie des "hits" : Mini, Jaguar Type E, MG B, Range Rover, Triumph Spitfire... Les constructeurs continentaux peuvent trembler !
En pratique, l'ensemble est truffé de doublons. A vouloir absorber tous azimuts, il n'y a pas de vision globale. BLMC est livré à des clans qui se font la guerre pour prendre le pouvoir. De plus, l'inconvénient d'une grosse structure, c'est que si vous avez n marques, vous devez multiplier d'autant le nombre de lancements, l'investissement dans la R&D, la modernisation des usines, le développement à l'étranger, etc. Or les caisses de BLMC sont vides. Le groupe préfère continuer avec l'existant. Côté modèles, il fait preuve de conservatisme. Non seulement il refuse de remplacer certains modèles à succès (comme la Mini), mais pour les rares nouveautés, il réfute la modernité (compacte avec hayon, généralisation de la traction...) Du coup, la clientèle migre vers Ford et Vauxhall.
La crise de 1973 aggrave la situation. Lorsque l'on parle de plans sociaux, les syndicats se hérissent. A partir de 1975, c'est un sauve qui peut. L'état revient à la rescousse et BLMH devient BL. Au quotidien, il y a du laisser-aller. Les productions BL sont synonymes de corrosion dès la sortie d'usine et de faisceaux électriques fonctionnant à mi-temps. Margaret Thatcher arrive au pouvoir. On lui propose un découpage du groupe ou un régime draconien. Elle choisit... Les deux. BL est transformé en Austin-Rover. De nombreuses usines (dont celle de MG) sont sacrifiées et les filiales étrangères (Innocenti, Ashok-Leyland...) sont revendues.
Les années 80 sont celles d'une première éclaircie. Le projet de citadine, maintes fois écarté, aboutit enfin, avec la Metro. AR se rapproche de Honda, qui veut poser un pied en Europe. La Triumph Acclaim permet de sceller une amitié. Les Rover 200 et 800 sont un habile mariage de technologie japonaise et de look britannique, avec une finition à la hausse. En parallèle, Thatcher poursuit sa politique de découpage : la branche utilitaire (Leyland-Daf) et Jaguar sont soldés.
En 1986, BL prend officiellement le nom de "Rover Group". Il appartient à British Aerospace (Bae), qui est lui même un groupe né d'un agglomérat d'entreprises. Austin est condamné au profit d'un Rover hégémonique, lui-même adossé à Honda. La bonne nouvelle, c'est le retour de MG comme marque à part entière.
En 1993, Bae revend ses parts. On attend Honda et à la surprise générale, BMW emporte le morceau. Autant les relations avec les Japonais sont cordiales (au point de les aider à monter l'usine de Swindon), autant il y a une méfiance mutuelle avec les Allemands. BMW a peur que Rover n'empiète sur son territoire. Il capte le savoir-faire de Land Rover pour mieux concevoir ses propres SUV. Les Anglais se sentent livrés à eux-mêmes. De nouveau, la gamme vieillit et le résultat replonge. Rover se marginalise. Lors du tout premier test Euro-NCAP, la Metro se fait laminer. Il faut immédiatement la retirer du catalogue.
En 1999, après des années de tâtonnements, BMW se sépare de Rover. Plus précisément, il vend Land Rover à Ford et garde Mini (ainsi que l'usine d'Oxford.) Le fond d'investissement Phoenix prend le reste : MG, Rover et une unique usine, à Longbridge (alors que BLMC disposait de 40 sites.)
Dans un premier temps, les Britanniques sont euphoriques : Rover redevient Britannique ! Encore une fois, on a chassé les Boches ! Phoenix utilise MG pour des modèles sportifs et attire une clientèle jeune. La marque à l'octogone revient au Mans, en rallye et vise l'Indycar.
Mais l'entité est trop petite ; elle n'a pas les moyens de développer de nouveaux modèles ou de nouveaux moteurs, et cherche d'éventuels partenaires parmi les grands constructeurs. Faute de mieux, MG se rapproche de seconds couteaux : Tata, Proton, Brilliance, SAIC, Qvale... En un temps record, l'Indica est transformée en City Rover et la Mangusta, en MG SV. Les autres modèles sont re-reliftés.
A partir de 2003, l'argent commence à manquer. Rover en est à multiplier les promotions. Il en gagne une image low-cost ; de voitures pour ruraux, plutôt âgés. Phoenix courtise SAIC, qui préfère attendre que le groupe meurt (emportant avec lui ses dettes.)
A l'été 2005, la dernière Rover sort de chaîne. Les actifs sont vendus aux enchères. NAC double son compatriote SAIC ; il obtient MG et l'usine de Longbridge. En prime, BMW fait valoir son droit de préemption sur le nom Rover. SAIC, qui a récupéré leur outillage doit le renommer "Roewe".
NAC construit une usine ultra-moderne à Nanjing et s'attelle à y produire les 25, 75 et TF. Longbridge doit lui produire une version reliftée du roadster TF. SAIC préfère partir sur du neuf, en piochant dans les projets mort-nés de Rover et chez Ssangyong (dont il est encore actionnaire majoritaire.) Au bout de quelques mois, NAC a une indigestion. L'état Chinois intervient pour que SAIC rachète son compatriote (et que MG reste chinois.)
Les premières MG de l'ère SAIC sont donc des Roewe recarrossées. NAC garde un embryon de présence internationale. SAIC décide qu'hors de Chine, seul MG aura droit de cité (quitte à rebadger les Roewe.) Quoi qu'il en soit, les voitures sont construites par et pour les Chinois. Exit les modèles sportifs, MG fait de l'access premium suréquipé et sous-motorisé. SAIC ne sait pas trop comment articuler MG et Roewe : faut-il les vendre côte à côte ? Ou bien séparer les réseaux ? Les annonces contradictoires se succèdent.
L'usine de Longbridge a été rasée à 90%. Il n'en reste qu'une aile, où une poignée d'ouvriers assemble quelques dizaines de 3 et 6 chaque mois. Les voitures arrivent en kit de Chine. C'est dire à quel point l'ex-fleuron de l'industrie britannique est tombé bas...
Crédits photos : Rover (photos 1, 3 et 4 et photos de la galerie N°3, 8, 12, 15, 16, 17, 18, 19, 22, 23 et 24), Jaguar-Land Rover (photo 2 et photo de la galerie N°1, 6 et 9), MG (photo 5 et photos de la galerie N°25, 26 et 29), BMW (photos de la galerie N°4, 5, 7, 11 et 20), BTCC (photos de la galerie N°14, 21 et 28) et Roewe (photo de la galerie N°29.)
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