A l'essai aujourd'hui, une Datsun Fairlady Sports 2000 de 1967. La seule présente sur le sol français! Avant d'en prendre le volant, un historique s'impose. Les livres d'histoire évoquent volontiers le défis qu'a représenté la production d'automobiles sur le sol japonais. Ils oublient de parler des premières tentatives japonaises hors de l'archipel. Et c'est pourtant une sacré aventure...Improvisations
Yutaka Katayama est un personnage haut en couleur. "Est" car à 104 ans, il est toujours de ce monde! Au début des années 50, il est responsable de la publicité chez Nissan. Il considère qu'il mérite mieux que cela. Mais pour sa hiérarchie, Katayama a deux défauts : c'est un adversaire farouche du syndicat des ouvriers et il aime traîner avec les militaires US. A l'époque, le Japon est administré par les Américains. Il y a quantité de soldats sur l'archipel et ils ont logiquement créé leur club de voitures de sport (dont Katayama sera président d'honneur.)
Katayama convainc ses chefs de concevoir un clone de MG TC/TD. La DC-3 est un utilitaire recarrossé par la Teikoku Body Co de Yuichi Ohta. Elle est dévoilé au salon de Tokyo 1952 et c'est un flop.
Malgré ce revers, Katayama reste persuadé d'avoir raison. Nissan lui fait confiance et au salon de Tokyo 1957, le constructeur dévoile la Datsun Sports 1000 (type S211.) Elle possède le même châssis que la DC-3 et sa carrosserie en fibre de verre est toujours signé Ohta. Si le prototype conserve le 860cm3 20ch de la DC-3, la version de série dispose d'un 1,0l 36ch. De nouveau, les ventes ne suivent pas.
Pas découragé, "Mr K" a une nouvelle idée: participer au Round Australia Trial 1958 (NDLA: parce que le frère-ennemi Toyota l'a fait en 1957.) La direction a peur d'une humiliation (faute d'expérience de la compétition en général.) Le syndicat choisi les pilotes et copilotes parmi ses membres (même s'ils n'ont jamais couru.) Katayama s'envole en Australie, où il surveille les Datsun officielles. Contre toute attente, les voitures tiennent le coup et elles remportent leur catégorie. Katayama rentre au Japon, où il découvre que la direction a nommé un nouveau responsable de la publicité, proche du syndicat. A la place, on lui propose un job aux Etats-Unis.
I love America
En 1954, les Etats-Unis et le Japon passent un traité de libre-échange. Le calcul des Américains, c'est qu'avec leurs produits bas de gamme, les Japonais n'auront qu'une part marginale du marché US. Néanmoins, ce sera suffisant pour générer de l'activité économique sur l'ile. Et si les gens s'enrichissent, ils seront moins enclins à adhérer au parti communiste...
Datsun/Nissan profite de cet avantage pour exposer au salon de Los Angeles 1958. Le stand est situé à côté de celui de Mercedes, ce qui lui permet d'en capter les visiteurs. Il enregistre même des commandes fermes. Le souci, c'est que Nissan est réticent à l'idée de travailler avec des blancs ! D'ailleurs, même la mannequin du stand est une Américano-japonaise, Nobu McCarthy (vague starlette hollywoodienne.)
Lorsque Katayama débarque aux Etats-Unis, la situation est désastreuse. Faute de motivation, les ventes seraient de 100 unités pour 1958. Les revendeurs sont des amateurs. Soichi Kawazoe, responsable "côte est" de Nissan est un véritable missionnaire. Il livre lui-même les pièces (et parfois, répare les voitures sur place) et démarche les clients (des immigrés Japonais ou d'anciens soldats US ayant servi au Japon) au porte-à-porte !
Katayama commence par étudier un importateur qui marche: Volkswagen of America. L'une des raisons de sa réussite, c'est un suivi étroit du réseau et des pièces disponibles en quantité. Mr K fait un rapport et en guise de réponse, on l'accuse d'avoir "blanchi" ! Il obtient néanmoins des moyens pour restructurer la filiale, qui devient Nissan North America, en 1965.
C'est du sport
En 1963, la Datsun Sports reçoit un 1,5l 85ch et une carrosserie acier (inspirée des productions anglaises contemporaines.) Elle s'appelle donc désormais Datsun Sports 1500. L'une des marotte de Katayama, c'est le sport. Pour lui, la Datsun Sports est une voiture de course potentielle. D'après lui, les Américains achètent des Triumph et des MG parce qu'elles sont performantes, pas parce qu'elles sont Anglaises. Si une voiture battait les roadsters anglais, les Américains l'achèteront! Une théorie que l'on retrouvera 20 ans plus tard chez Mazda... Mr K crée donc une équipe plus ou moins officielle et propose un kit double-carburateur.
Au Japon, on la voit plutôt comme une voiture de minets. Chaque année, Datsun édite des calendriers de charme, à son effigie. La Datsun Sports est renommé "Fairlady", en hommage à la comédie musicale My fair lady. Nissan veut attirer à lui une partie des touristes des jeux olympiques de Tokyo 1964. Il s'offre deux étages du san-ai building, un des immeubles les plus chics de Ginza. Un concours de "miss Fairlady" est un prétexte pour faire défiler des jeunes filles dans la "Nissan gallery".
Depuis l'Amérique, Katayama exige des moteurs plus puissants. Il est entendu et en 1965, la Fairlady/Sports reçoit un 1,6l 95ch:
En en 1967, c'est la Datsun Fairlady/Sports 2000. Gavé par deux carburateurs Mikuni (des copies de Solex), son 2,0l offre 150ch. La 1600 continue en parallèle.
Il faut néanmoins reconnaitre qu'elle arrive en bout de développement.
Commercialement, c'est un succès. La presse US est unanime: avec son tarif très agressif, la Datsun Sports 2000 offre un rapport prix/performance imbattable. La notoriété progresse en flèche et cela déteint sur les ventes de berlines: 37 000 unités en 1967, 58 000 en 1968 et 90 000 en 1969! L'époque du porte-à-porte semble déjà loin...
Sportivement, en revanche, les résultats sont moyens. Dwayne Feuerhelm, un habitué des Triumph, possède l'imprimatur de Nissan North America. Il prend à son compte les voitures "usines", sans obtenir davantage de podiums.
Pete Brock, ex-bras droit de Caroll Shelby, fait le forcing pour être la nouvelle équipe officielle. Concepteur attitré des Hino de compétition, il en veut à Toyota d'avoir dissout le programme. Quel meilleur moyen de le faire enrager que de passer chez Nissan ? Bien placé au Japon, ses Fairlady -théoriquement privées- ont été payées par la maison-mère ! Ses voitures sont plus rapides que celles de Feuerhelm. En 1969, le vœux de Brock est exaucé : son team, BRE, est adoubé par Nissan. L'importateur nord-américain est obligé de l'adouber peu après. BRE décroche un titre régional. De quoi crédibiliser l'image sportive de Datsun, auprès de la clientèle de la côte ouest.
A la même époque, Datsun tente timidement sa chance en Scandinavie et dans le Benelux. En 1968, le constructeur engage deux Fairlady Sports 2000 au Monte-Carlo et au rallye des Tulipes, avec des équipages finlandais. On reconnait un tout jeune Hannu Mikkola (debout, à droite de la "66".) Le protégé (et compagnon de beuverie) de Timo Makinen termine 9e du "Monte". De quoi encourager le constructeur à revenir en 1969.
Pour le millésime 1970, Datsun passe à la Fairlady Z/240Z. C'est une montée en première division! Les Fairlady Sports 1600 et 2000 disparaissent dans un anonymat quasi-total. Environ 40 000 unités ont été produites.
Et Katayama? Il revient au Japon à la fin des années 70. Parce que c'est un "presque gaijin", la direction le met sur une voie de garage. A la fin des années 90, il est réhabilité et son rôle dans le développement de Nissan est reconnu. Lorsque Carlos Ghosn prend les commandes du constructeurs, il commandite une série de pub avec un acteur le jouant... Sans savoir que le vrai est encore en vie!
Avec les 240Z/260Z/280ZX, Datsun/Nissan devient un constructeur de stature mondiale. Les modèles antérieurs -dont les Fairlady Sports- sont éclipsés. Pourtant, ce sont elles qui ont défriché le terrain à l'export. Sans la Fairlady Sports, la 240Z n'aurait eu ni réseau structuré, ni cellule sportive chevronnée.
On retrouvera néanmoins quelques traits du sympathique roadster dans la Nissan Figaro des années 90.
Crédits photos: Nissan (sauf photo 1, Joest Jonathan Ouaknine/Le Blog Auto)
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