Acheter une voiture, dans les années 80, c'est faire des choix. Il y a de grandes différences d'un constructeur à l'autre. Par exemple entre la Peugeot 205 GTI et la Renault 5 GT Turbo, ce n'est pas qu'une guerre de badges. Il y a d'un côté un gros moteur à injection et de l'autre, un petit moteur turbo.
Dans le milieu et le haut de gamme, certains refusent d'entendre parler de traction (comme Volvo.) D'autres bannissent les moteurs diesel ou les carrosseries avec hayon. A contrario, certains mettent l'accent sur la solidité de leurs véhicules, d'autres privilégient l'électronique embarquée, tandis que d'autres encore mettent en avant des solutions éprouvées. C'est tout cela qui fait alors le sel du positionnement d'un constructeur.
Enfin, l'offre est complétée par de petits généralistes. Leurs prix sont cassés, mais ils font appel à des technologies obsolètes. Chez Skoda, on en est encore au tout-à-l'arrière!
Au moins, les différences sont visibles à l’œil nu. Ca tombe bien, car la communication automobile est balbutiante. Certains découvrent de manière très rude ce qu'il ne faut pas faire. Dire que sa voiture est une poire, c'est une très, très mauvaise idée...
Le tournant des années 90
Durant la décennie suivante, on assiste à une uniformisation des caractéristiques techniques. Les occidentaux veulent des tractions, des diesel, des compactes 5 portes, des grandes berlines 4 portes, etc. Charge aux constructeurs de s'adapter. Même Volvo doit passer aux roues avant motrices, shocking !
Il y a aussi une "course à la mer". Dés qu'un constructeur explore une niche, les autres s'empressent de s'y engouffrer. C'est le cas des monospaces, des 4x4, des coupés, des cabriolets, des SUV... Le mouvement se poursuit d'ailleurs jusqu'à aujourd'hui (avec les SUV compacts.) Il n'y a donc plus de généraliste qui aurait en plus une compétence dans telle ou telle niche. On observe un phénomène similaire dans les innovations technologiques. A peine apparus, la rampe commune, l'injection directe, ou plus tard le stop&start, sont immédiatement adoptés par d'autres.
Enfin, il y a un mouvement de concentration sans précédent, qui s'accélère au tournant du siècle. En 2000, la plupart des constructeurs, qu'ils soient européens, asiatiques ou américains, font partie d'un groupe. Y compris des marques jusqu'ici farouchement indépendantes, comme BMW. Avec la chute du mur, les constructeurs des pays de l'Est sont condamnés à intégrer ces groupes ou à mourir.
La "fin de l'histoire"
Par définition, si les constructeurs se regroupent, c'est pour mettre en commun leurs moyens. Concevoir un modèle coûte cher. En prime, bien malin qui peut prédire s'il sera un succès ou pas. Chaque lancement est un coup de poker. Et c'est presque du all in. Mieux vaut donc partager le risque à plusieurs. La tentation est très forte de commercialiser un modèle sous différents badges. Ca avait déjà régulièrement fait et ça a toujours été un flop.
Il faut donc faire dans la subtilité. Le modèle industriel, c'est l'ordinateur : des composants identiques d'une marque à une autre; c'est le design et le positionnement marketing qui font la différence. Ainsi, Ford prend une Mondeo, lui colle une carrosserie de XJ miniaturisée et ça donne la Jaguar X-Type! Le client n'y verra que du feu, jure-t-on à l'ovale bleu.
Certain prônent la fin des usines. Comme Foxconn dans l'informatique, l'avenir est aux sous-traitants capable de travailler pour plusieurs marques (cf. Magna-Steyr, ci-dessous.)
Interlude
L'ère des grands groupes se terminent en eau de boudin. Non, le consommateur n'est pas dupe. On ne peut pas lui faire surpayer une Mondeo maquillée en Jaguar ou une Vectra maquillée en Saab. Il réclame des voitures avec de vraies identités.
En parallèle, l'arrivée des énergies propres (hybrides, électriques, biocarburants...) divise les constructeurs. On revoit apparaître des choix spécifiques à chaque marque.
Chassez le naturel...
Hélas, ça ne durera pas. Le fautif s'appelle VW. Le constructeur allemand a conçu des plateformes modulables. On peut jouer sur la longueur et la largeur du véhicule. Il peut ainsi commercialiser sous quatre marques différentes des modèles ayant une personnalité propre. Et avec une même plateforme, elle peut construire des berlines, des SUV, des coupés, etc. Cela baisse d'autant le seuil de rentabilité de chaque modèle, d'où des gammes pléthoriques (surtout chez Volkswagen et Audi.)
L'autre leçon de VW, c'est aussi de mutualiser les usines. Il y a cette fois une logique industrielle. Traditionnellement, chaque généraliste possède un site pour ses citadines, un site pour ses compactes, un site pour ses berlines et un site pour ses grandes berlines. Le souci, c'est que la voiture est un produit couteux et compliqué à transporter sur de longues distances. Un constructeur présent sur l'ensemble des marchés, serait obligé de reconstruire 4 usines par grande zone géographique !
L'idée est donc de les remplacer par de grands sites polyvalents. Ils ne sont plus répartis par type de production, mais par zone géographique desservie. Par contre, impossible de montrer un Q3 sortant d'une usine Seat ou une VW présente sur la chaîne avec une Skoda. La communication fait barrage. Il faut maintenir une distinction (même si elle est artificielle.)
Dans un contexte où les marchés européens sont en chute constante, produire pour plusieurs marques permet de lisser la production. Renault devrait ainsi produire des Micra à Flins. Par manque de flexibilité, cela imposera à la Clio 5 d'être encore plus proche de sa cousine japonaise. L'idée étant que grâce au marketing, la Clio se distinguera de la Micra... C'est-à-dire exactement ce que disait Ford à l'heure du Premier Automotive Group!
L'automobile n'est pas un objet comme un autre
Du point de vue des constructeurs, la mutualisation n'a que des avantages. Le problème, c'est que les différences sont gommées d'une marque à une autre. Il n'y a plus de différenciation sur les motorisations ou les équipements. Tous les généralistes présents en Europe proposent plus ou moins la même offre, en terme de rapport équipement/prix, de finition ou de niveau de sécurité. Notamment parce que les modèles partagent nombre d'éléments avec leurs concurrents. On obtient des voitures apatrides.
Quant à la personnalisation au niveau du design, elle a tendance à s'effacer. Il est déjà compliqué de plaire à tous les Européens de 18 à 77 ans. Mais si en plus vous cherchez à séduire aussi les Asiatiques et les Américains, vous obtenez un compromis mou. C'est l'ère de la consensualité. Charge aux communicants de s'exclamer sur une ligne "pleine de caractère", qui offre une "forte impression de dynamisme". Si le dessin avait réellement de la personnalité, cela sauterait aux yeux; pas besoin de le dire au quidam...
Aujourd'hui, en Europe, le gros des ventes concerne les segments A0, A et B. Ceux où les motivations d'achats sont les plus objectives (prix, habitabilité, équipement, valeur à la revente...) Donc a priori, pas besoin de trop se distinguer. Au contraire, ce serait prendre le risque de choquer, donc d'être rejeté.
Mais à trop faire dans la banalité, on brise le lien intime entre le conducteur et la marque de sa voiture. La voiture devient un déplaçoir, point. Il n'y a plus de fidélité et cela met le constructeur à la merci du moindre accroc. L'exemple Américain est édifiant. Avec la Camry, Toyota a prêché la banalité. En 2007, alors que le marché US est au bord du gouffre, il en vend 473 108 exemplaires. Un record. L'affaire des pédales lui fait très mal. Les ventes plongent, atteignant 308 510 unités en 2011 (du jamais vu depuis le milieu des années 90.) Depuis, Toyota a redressé la barre, mais les clients ont changé de crèmerie; il ne s'est jamais vendu autant de Honda Civic et de Hyundai Sonata. Et ils ont eu d'autant moins de scrupules qu'ils n'avaient aucun attachement envers Toyota.
C'est donc ce qui pend au nez de Fiat, Ford, GM, PSA, Renault ou Volkswagen : ils peuvent perdre leurs clients du jour au lendemain. Parce que le client sait qu'il peut trouver à peu près la même chose en face. La mutualisation est une fausse bonne idée.
La parade trouvée par les généralistes, c'est les véhicules de niche. La "course à la mer" entamée dans les années 90 se poursuit. Il n'y a jamais eu autant de citadines premium ou de SUV compacts. Un simple coup d’œil dans les beaux quartiers montre qu'il y a effectivement une demande pour rouler différemment.
Néanmoins, ce n'est pas la panacée. Par définition, ces nouveaux véhicules correspondent à des niches de marchés. Niches qui ne sont pas extensibles indéfiniment (c'est ce que BMW/MINI vient de découvrir.) Un généraliste ne peut donc pas espérer compenser la chute des ventes de sa gamme "normale" par les niches. De plus, on ne peut leur demander de servir d'alibi au reste de la gamme. A fortiori s'ils n'ont qu'un lointain rapport (cf. les Opel GT et Speedster.) Enfin, à partir du moment où la niche est saturée, le modèle n'apporte plus rien. Il n'est plus qu'un énième clone d'un concept qui a marché. Sans oublier les constructeurs comme Volkswagen qui ont tellement de cabriolets que chacun a du mal à exister. Malgré tous les efforts du marketing.
Crédits photos: Volkswagen (photo 1), Peugeot (photo 2), Volvo (photos 3 et 6), Skoda (photos 4, 8 et 14), Renault (photos 5 et 15), GM (photos 7, 16 et 18), Alfa Romeo (photo 9), Jaguar (photo 10), BMW (photo 11), Toyota (photos 12 et 17) et Seat (photo 13)
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