Actuellement, il y a deux pilotes Brésilien en F1: Bruno "Senna" (chez Williams) et Felipe Massa (chez Ferrari.) Tous les deux sont plus ou moins sur un siège éjectable. Ainsi, en 2013, il pourrait n'y avoir aucun Brésilien sur la grille de départ. Du jamais vu depuis 1970. Car au-delà du destin de Senna et Massa, le gros problèmes du Brésil, c'est qu'on ne sent pas poindre un nouveau "grand".
Les pionniers
D'après les statistiques, le premier Brésilien en Grand Prix est Gino Bianco. Ce pilote né en Italie dispute quelques courses en 1952, avec une Maserati privée.
Néanmoins, celui qui poussera les Brésiliens à aller en F1 est... Un Argentin: Juan-Manuel Fangio. Fangio, le garagiste qui devient le plus grand pilote du monde.
D’Ushuaïa à Tijuana, de nombreuses personnes s'identifient à lui. Notamment à cause de ses origines très modestes et de son patriotisme.
En même temps, le fait que ce soit un Argentin froisse les égo hors du pays: "Et nous, il est où, notre Fangio? Faut qu'on montre à ces [censuré] d'Argentins ce qu'on sait faire!"
Voilà pourquoi, après Fangio, de jeunes espoirs venus d'autres pays s'exilent en Europe. Les premiers sont les frères Rodriguez, venus du Mexique.
En 1969, Emerson Fittipaldi, qui est déjà une star au Brésil, traverse l'Atlantique. Très doué, il connait une carrière météorique.
Repéré par Colin Chapman, il atterrit en F1 dés 1970. Propulsé premier pilote à la mort de Jochen Rindt, il remporte le dernier Grand Prix de la saison. En 1972, à 25 ans, il devient le premier champion du monde de F1 Brésilien. Il doublera la mise en 1974.
Fittipaldi conseille à ses compatriotes de venir le rejoindre: son grand frère Wilson, Carlos Pace, Ingo Hoffman, Nelson Piquet et plus tard Roberto Moreno débarquent en F1 grâce à lui.
Ayrton Senna
"Fitti" place la F1 parmi les sports nationaux du Brésil. Depuis 1972, le pays possède son Grand Prix national. Les frères Fittipaldi essayent même de créer une F1 brésilienne, avec l'aide de Copersucar, une coopérative sucrière. Maintenant, les jeunes des beaux quartiers rêvent de F1.
Avec Chico Serra, Raul Boesel, les frères Ribeiro et les protégés de Fttipaldi, on parle de plus en plus portugais dans les paddocks, à la fin des années 70!
Néanmoins, avec Senna, le sport automobile brésilien va changer de dimension.
Contrairement aux autres, Ayrton Senna da Silva s'exile avant même de "monter" en automobile. Gros bosseur, le kartman se fait un nom en Formule Ford, en F3, puis en F1.
Avec 3 titres et 41 victoires, Senna devient une véritable idole. Les jeunes pilotes Brésiliens le considèrent comme un grand frère. Prompt au partage, Senna soutient volontiers ses compatriotes. Il leur offre des stages, des conseils de carrière et même, un briefing spécial lors des Grands Prix!
Le cœur du fan-club de Senna se trouve à Londres. Rubens Barrichello, Tony Kanaan et Christiano da Matta partagent un appartement. Chacun rêve de gloire, à l'ombre du dieu Senna.
Il faut noter qu'à l'époque, Fittipaldi est passé en Indycar. Cette fois, il pousse ses compatriotes à le rejoindre, plutôt que d'accepter un mauvais volant en F1. Mauricio Gugelmin, très proche de Senna, l'écoute. Gil de Ferran retraverse l'Atlantique sans même conduire de F1. Même Senna essayera une Indycar (afin de mettre la pression sur McLaren, qui hésite sur son salaire.)
A l'apogée de cette "brazilian connection" en Indycar, le Brésil a droit à sa propre manche.
Le nouveau Senna?
Le Brésil retient son souffle le 1er mai 1994. Qui sera capable de reprendre le flambeau?
Ils sont cette fois des dizaines à se présenter au portillon. Tous ont grandi en regardant leur idole. Ils viennent de partout, y compris de villes comme Manaus ou Belo Horizonte, sans tradition sportive.
La palette va de Pedro Paolo Diniz, héritier des supermarchés Pão de Açùcar à Felipe Massa, vendeur de chichis du circuit d'Interlagos!
En Europe, à l'instar des joueurs de football, le fait d'exhiber un passeport brésilien fait tourner la tête des recruteurs. Et lorsqu'un Brésilien brille, ça y est, on a trouvé le nouveau Senna! De par leur nombre, on en trouve évidemment en haut des classement: Ricardo Rosset, Tarso Marques, Max Wilson et Bruno Junqueira en F3000; Enrique Bernoldi, Mario Haberfeld, Luciano Burti et Bruno Senna en British F3; Tony Kanaan, Helio Castroneves, Cristiano da Matta et Ana Beatriz en Indycar; Felipe Massa en Euro F3000; Antonio Pizzonia et la famille Sperafico lors d'essais privés avec Williams; Nelson Piquet Jr en GP2... Autant de fois où l'Europe, puis le Brésil, s’enflamment pour un espoir.
Mais le retour de bâton est violent. Barrichello, fils spirituel autoproclamé de Senna, est à l'arrêt chez Jordan en 1995 et 1996. Il est immédiatement moqué, voir hué, dans son propre pays.
La pression est forte sur les aspirants. Il ne faut pas être juste "bon"; il faut être "excellent", comme Senna. Et tout de suite.
Lorsque les résultats ne suivent pas, le public se désintéresse instantanément du pilote. D'autant qu'il y en a déjà dix autres dans la file d'attente, près à prendre son baquet.
La fin de la route?
Le problème de cette impatience, c'est qu'à force, la file d'attente se vide. Si demain, Felipe Massa et Bruno Senna se retrouvent à pied, ils n'ont aucun compatriote capable de prendre leur suite.
En GP2, il n'y a que 3 Brésiliens (Felipe Nasr, Luis Razzia et Victor Guerin) et aucun n'a le profil du jeune prometteur.
En FR3.5, le mieux classé (le redoublant André Negrao) végète à une anonyme 12e place.
En GP3, Fabiano Machado n'a marqué aucun point.
Il n'y a aucun Brésilien en Euro F3 et en British F3, les redoublants Pietro Fantin et Pipo Derani sont décevants.
En FR2.0, le soi-disant "ultra-prometteur" Guilherme Silva est 19e du classement!
En Indycar, il y a bien 3 Brésiliens. Mais ce ne sont pas vraiment des jeunots: Helio Castroneves a 37 ans, Tony Kanaan, 38 ans et le "nouveau", Rubens Barrichello, a fêté ses 40 ans en mai!
En novembre 2011, pour le test collectif des espoirs de la F1, il y a une vingtaine de pilotes, mais un seul Brésilien: Luis Razia (avec Team Lotus.)
La pénurie de talents est telle que pour Interlagos, l'Auto GP préfère ressortir Antonio Pizzonia.
Le problème du Brésil, c'est la mondialisation!
Dans les années 70, seuls une poignée de pays ont des pilotes présents dans les grands championnats européens: l'Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, la Suède et donc, le Brésil.
Dans les années 80-90, on voit apparaitre des pilotes venus de Finlande, d'Espagne, du Portugal et du Japon.
L'implosion du bloc de l'est entraine ensuite une arrivée de pilotes d'Europe centrale et orientale.
Comme le Brésil vis-à-vis de l'Argentine en son temps, le succès Brésilien a galvanisé les orgueils de ses voisins. D'où des représentants Colombiens, Mexicains Vénézuéliens sur les grilles.
Enfin, depuis peu, la Chine, l'Inde et la Malaisie se joignent à la danse.
Les pilotes prometteurs viennent aujourd'hui de partout. Aucun pays n'a de monopole. Parmi les 7 champions de GP2, on trouve 6 nationalités différentes (seule l'Allemagne -avec Nico Rosberg et Nico Hulkenberg- a deux représentants.)
De ce fait, le Brésil se retrouve noyé dans le concert des nations. Un passeport brésilien n'est plus un sésame magique.
D'autant que le pays ne possède ni constructeur, ni écurie, ni sponsor "historique" qui pourrait suivre un espoir.
L'exil en Europe ne tente plus autant. Certains jeunes ont peur de se brûler les ailes et le "mythe Senna" commence à se dissiper. Après tout, cela fait déjà 18 ans qu'il est mort...
Crédits photos: Ferrari (photo 1), Mercedes (photo 2), Ford (photos 3, , 5, 6, 7, 9 et 14), Lotus (photos 5 et 10), BMW (photo 8), British F3 (photos 11 et 13) et Caterham (photo 12)
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