Votre chère Formule 1 qui repart pour un tour le 29 mars prochain fête ses 60 ans, mais elle est mourante. Ce sport si particulier, alliance improbable entre violence et finesse, qui puise ses racines dans les jeux du cirque et les tournois de chevalerie pourrait disparaître.
Après les départs de Porsche, Jaguar, Ford et Peugeot, c’est aujourd’hui Honda, grand motoriste qui a dominé la Formule 1 dans les années 90, qui vient de jeter l’éponge.
Pour endiguer cette hémorragie vous avez imaginé à la hâte, sans tenir compte des recommandations des écuries, une série de mesures qui semblent ne satisfaire personne. Vous venez par exemple d’annoncer pour 2010 un règlement ultra complexe visant à plafonner le budget des écuries. Hors, malgré la crise économique, vous vous trompez sur la nature même du mal qui affecte votre vieille discipline.
La Formule 1 ne doit pas être bridée de la sorte, elle ne souffre pas de vivre au-dessus de ses moyens, elle souffre de ne plus vivre dans son époque.
Pour survivre elle doit rester une discipline de très haute technologie et ne se résume pas à un grand show inutile formaté pour les télévisions. Ferrari a d’ailleurs récemment fait part des mêmes remarques dans un communiqué de presse, car vous avez même envisagé d’imposer à toutes les écuries un moteur unique à partir de 2010 :
« Le Conseil d’Administration de Ferrari fait part de fortes inquiétudes concernant le projet de tandardiser les moteurs parce qu’il sent que ce changement porterait atteinte à toute la raison d’être d’un sport où Ferrari a toujours été présent depuis 1950, une raison d’être principalement basée sur la compétition et le développement technique (…) Le Conseil d’Administration souligne que si ces éléments clés étaient réduits, il réévaluerait, avec ses partenaires, le sens de poursuivre sa présence dans ce sport. »
Aujourd’hui, telle que vous la dirigez, la Formule 1 n’a effectivement plus aucun sens et il se murmure dans les couloirs du Parlement européen que
certains politiciens souhaiteraient tout simplement l’interdire… On remarque d’ailleurs que les pays européens et en particulier la France ne
se pressent plus pour accueillir les Grand Prix… Les associations écologiques, à raison, se battent pour pousser la Formule 1 hors de leurs frontières. Elle a donc trouvé refuge ces dernières années, dans des contrés lointaines où l’opposition n’existe pas : Grand Prix de Malaisie, Grand prix de Chine, Grand Prix de Barhein, Grand Prix de Singapour, Grand Prix des Emirats Arabes Unis. La Formule 1 pour exister vraiment ne peut pas vivre exilée, loin de ses racines européennes . Quel triste spectacle que ces voitures qui tournent en rond devant quelques spectateurs en plein désert.
Pourtant ce sport ne doit pas disparaître. Depuis 60 ans, les découvertes directement issues des circuits de Formule 1 sont innombrables : la compréhension de l’aérodynamisme, la résistance des châssis, la puissance des freins, la souplesse des suspensions, l’adhérence des pneumatiques, le rendement des moteurs que nous utilisons tous les jours doivent énormément à la créativité des ingénieurs de la Formule 1. Un seul exemple, des milliards de litres de carburant sont économisés chaque année sur la planète grâce à une petite équipe d’ingénieurs de Formule 1 français de la régie Renault qui au début des années 80 ont réussi à dompter et à apprivoiser le turbocompresseur. Ils ont été les seuls, à l’époque, à cerner le potentiel et l’intérêt de cette technologie en compétition, les débuts ont été laborieux, on s’est moqué et puis tous ont fini par copier ce fabuleux petit moteur turbo. Aujourd’hui, pourtant interdit en Formule 1, ce principe de suralimentation équipe la plupart des moteurs de nos automobiles et permet de réaliser des économies d’énergie considérable.
Il faut donc très rapidement que vous donniez à la Formule 1 une véritable mission écologique. C’est une question de survie pour la discipline et ce
serait une très bonne nouvelle pour la planète. Le plus haut niveau du sport automobile doit s’engager à fond dans ce passionnant challenge, il doit donner l’exemple. Il ne doit pas suivre la mode de l’écologie mais servir l’écologie. Richard Branson le visionnaire patron de Virgin a très récemment annoncé que la Formule 1 pouvait le tenter mais qu’elle « devrait être pionnière en matière de technologies vertes » et qu’elle « devrait concentrer ses efforts et son temps à essayer de montrer que ces voitures peuvent courir de manière écologique. Ces deux points sont des préalables (à notre entrée en F1)».
Il me semble qu’il existe deux solutions :
1/ Interdire les ravitaillements en course. Quelle drôle d’image offrez-vous aux téléspectateurs avec ces bolides qui rentrent furieusement aux stands se gaver de carburant, alors que quelques secondes plus tard, Ies spots publicitaires nous vendent des automobiles qui passent dans les stationsservices déposer délicatement quelques gouttes dans leur réservoir. ll faut d’ailleurs rappeler que les ravitaillements rendent les courses trop
complexes. Seuls les initiés peuvent apprécier cette Formule 1 où la stratégie dans les stands a remplacé le combat sur la piste. Avec cette
nouvelle règle, même les pilotes devront revoir leur conduite de manière à consommer le moins possible, comme le faisait à merveille un certain AlainProst à l’époque où les ravitaillements étaient interdits.
2/ Libérer le règlement technique. Regardez les 24 Heures du Mans, le règlement souple a permis aux constructeurs d’aligner des voitures de courses fonctionnant au diesel (55% des véhicules neufs vendus en Europe aujourd’hui fonctionnent avec ce carburant). Audi et Peugeot ont vite compris l’intérêt de cette grande course, ils se livrent depuis deux ans un combat sportif et technologique magnifique et peuvent communiquer sur la motorisation diesel qui équipe la majorité de leurs modèles. C’est bien la preuve que pour subsister, la Formule 1 elle aussi, doit rester un laboratoire à ciel ouvert.
Elle ne peut pas, comme elle le fait en ce moment sous prétexte de crise économique, se diriger vers un simple spectacle sportif sans réel intérêt
technique.
Cette nouvelle Formule 1 redeviendra alors un magnifique sport mécanique moderne et responsable indispensable aux constructeurs automobiles et aux grandes marques qui se battront sans compter sur les circuits du monde entier pour démontrer leur savoir-faire et imaginer les automobiles du futur.Vous avez réussi à faire du Championnat du monde de Formule 1 l’un des 3 événements sportifs les plus importants avec la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques. Je suis persuadé que vous allez réussir à négocier avec intelligence ce virage difficile. Rappelez-vous, le 1er mai 1994, Ayrton Senna s’écrase contre un mur du circuit d’Imola, la Formule 1 sous le choc est anéantie, désemparée, comme devenue folle, elle a tuée son propre fils. Le spectacle écœurant semble condamné. Mais vous avez trouvé la force de tout relancer. Grâce à de courageuses et radicales mesures de sécurité plus jamais depuis, la mort n’est venue roder sur les circuits.
Aujourd’hui, c’est un nouveau combat qu’il faut mener, il ne s’agit plus de sauver la vie de vos pilotes mais de votre chère Formule 1 !
Pierre Vanier
Designer Ecologique