Les flêches d'argent de Mercedes et Auto-Union restent un mythe du sport automobile. Il y a deux constructeurs qui se livrent une bataille avec des moyens techniques et financiers jusqu'alors inédits, des pilotes veritables trompe-la-mort, le tout saupoudré par la mégalomanie du régime nazie, qui voyait là un outil de propagande. Lorsque Mercedes fit son grand retour en compétition, au milieu des années 90, elle ressortit Manfred Von Brauchitsch de la retraite. Avec "seulement" deux victoires en course, il n'a pas marqué l'histoire, mais il était le dernier pilote Mercedes de l'entre-deux guerres qui n'ait pas terminé dans un talus, ni recraché ses poumons (ces voitures testant alors un ersatz d'essence ultra-corrosif.) Von Brauchitsch est mort en 2003, mais il reste encore une personne ayuant piloté une Auto-Union: Elly Beinhorn, veuve de Bernd Rosemeyer, qui fête ses 100 ans.
Elly Beinhorn n'a jamais couru. Sa passion, c'était l'aviation. Née en 1907, cette Allemande assiste à 21 ans à un conférence donnée par un as de l'aviation, Hauptmann Hermann Köhl. C'est décidée, elle sera aviatrice! Il n'y a pas d'école d'aviation à son Hanovre natal, alors elle quitte ses parents pour s'installer à Berlin.
Ses débuts sont héroïques: elle effectue un Berlin-Rome avec un compas pour tout instrument, mais lorsqu'elle est engagée par une compagnie aérienne, elle se perd lors de son premier vol et arrive avec 24h de retard!
Elle tente ensuite un tour du monde en solitaire, mais doit attérir de force dans le Sahara. En janvier 1931, deuxième tentative et elle réussira à rallier Berlin en juin 1932. C'est un exploit et Elly Beinhorn devient une célébrité en Allemagne.
En septembre 1935, elle organise une conférence en Tchécoslovaquie. A un jet de pierre de là, un grand prix a lieu et Auto-Union lui propose d'être leur invitée d'honneur. Hans Stuck (Auto-Union) est le favori, mais en course, il percute un oiseau, brisant ses lunettes. Il réussira à rentrer aux stands, mais laisse la victoire à son équipier, un inconnu issue de la moto, Bernd Rosemeyer (c'est d'ailleurs sa première victoire en auto.) Sur le podium, Auto-Union demande à Beinhorn de poser avec lui. Bernd a le coup de foudre, pas elle. "Je ne suis pas gérante de maternelle" (Bernd a 2 ans de moins qu'elle), voilà ce qu'elle répond à ses avances.
Bernd profite de l'intersaison pour la poursuivre, jusqu'à ce qu'elle succombe à son charme.
Elle acceptera même de l'accompagner sur les circuits où ils forment un couple indissociable.
Cela portera visiblement chance à Bernd Rosemeyer, qui enlevera cinq grands prix et deux courses de cote en 1936, profitant des mauvaises performances des Mercedes. Une étoile est née.
En juillet, Elly deviendra madame Rosemeyer.
A Monza, en septembre, Auto-Union a une idée de génie: il lui font conduire le mulet, à la fin des essais libres, de quoi obtenir un maximum de publicité. Songeait-elle à une reconversion comme pilote? Après un tour au ralenti, elle tente un tour "plus rapide". Ce sera la seule fois où elle conduira une voiture de course et pourtant, elle a maîtrisé sans problème la nervosité du V16 de 520ch en position centrale.
En janvier 1937, Rosemeyer doit participer à deux courses en Afrique du sud. Le couple s'y rendra dans l'avion privée d'Elly Beinhorn, qui possède une croix gammée sur la queue. Nazis, les Rosemeyer? Beinhorn s'en défendra, bien que les Rosemeyer étaient les prototypes des aryens dominateurs et que le tout-Berlin les invitait. A noter que Rosemeyer remportera l'une des deux courses sud-africaines, au Cap.
En juin 1937, Rosemeyer s'impose au Nurnburgring (avec le Sudkurve.) Auto-Union lui demande de revenir le lendemain de la course, pour faire un film publicitaire. Il propose à sa femme de faire un tour du circuit assise sur le rebord du baquet (alors qu'elle est enceinte.) Il a beau conduire "lentement", elle sera quitte pour 12 minutes de frayeur (à titre comparatif, il avait fait la pole en 9'46.)
Puis ils partent peu après à New York (en bateau) où Bernd doit disputer la Coupe Vanderbilt. Le couple voyagent avec un autre couple célèbre Rudolf Caracciola (pilote Mercedes et rival N°1 de Rosemeyer) et sa femme Alice (une fan de course qui a quitté son mari pour Louis Chiron, puis pour Caracciola... Le meilleure ami de Chiron.) Qui imaginerait aujourd'hui Alonso, Raikonnen et leurs épouses partant ensemble en croisière?
Rosemeyer s'impose devant la crème des pilotes Européens et Américains. Il déposera les 20 000$ du prix sur un compte bancaire US. Comptait-il s'exiler là, face à l'imminence de la guerre? Elly utilisera l'argent beaucoup plus tard pour financer un timbre à l'effigie d'Amelia Earhart, une célèbre aviatrice Américaine disparu peu avant le début de la coupe Vanderbilt.
Au retour, Bernd est fait capitaine de la SS "à son insu". En novembre, Bernd Jr nait.
En janvier, il doit participer à une tentative de record sur une autoroute entre Francfort et Darmstadt. Elly est en Tchécoslovaquie pour une conférence. A un kilomètre de l'arrivée, à 400km/h, Bernd perd le contrôle de son véhicule. Il roule sur l'herbe du terre-plein central, heurte une borne kilométrique et termine dans les arbres. Il meurt peu après.
Elly refusera qu'il ait des funérailles nationales et le fait enterrer aux côtés de son ami Ernst Von Delius, un autre pilote Auto-Union.
Source:
The Golden Era of Grand Prix