La nouvelle est d'importance, voire – et je pèse mes mots – d'une extrême importance pour les salariés : après avoir initialement classé le dossier, la Caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine vient de reconnaître comme accident du travail le suicide, en octobre dernier, d’un ingénieur du Technocentre de Renault à Guyancourt.
Un tel jugement devrait faire jurisprudence et faire donc réfléchir à deux fois toute société et ses “managers” avant de mener quelque politique zélée de nature à porter préjudice à l'intégrité MORALE de ses collaborateurs. Qu'on se le dise, de part ... et d'autre.
I – La CPAM revient sur sa décision
La CPAM des Hauts-de-Seine a reconnu jeudi comme accident du travail un suicide survenu au technocentre Renault des Yvelines à Guyancourt.
Parmi les trois récents suicides de salariés du site, c’est le seul cas où un lien avec les conditions de travail a pu être établi par l’assurance maladie. La famille de la victime espère maintenant faire établir la faute inexcusable du constructeur devant les tribunaux au titre du non-respect de l’obligation de résultats en matière de sécurité au travail. La chose va loin, très loin ... et sera lourde de conséquences.
Pour rappel, le 20 octobre 2006, un ingénieur en informatique de 39 ans, père d'un garçon de 11 ans, a sauté du 5e étage d'un bâtiment du Technocentre de Guyancourt. Ce n'est pas malheureusement le premier suicide d'un des salariés du site, tandis que deux autres de ses collègues ont décidé depuis de se donner la mort.
"Cette reconnaissance d'un lien avec le travail est une étape symbolique importante", a estimé l'avocate de la veuve du défunt. Me Rachel Saada a souligné qu'une telle décision donnerait aussi droit à des "indemnisations". "Nous allons maintenant tenter de faire reconnaître la faute inexcusable de Renault, qui avait une obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de son salarié", a ajouté l'avocate. Elle a rappelé que "depuis la rentrée, Antonio B. avait atteint un seuil critique : il s'inquiétait pour son avenir, pour ses missions, était surmené et mis en cause régulièrement par un membre de sa hiérarchie".
La CPAM avait rejeté le 17 janvier, dans une première décision, le classement du suicide en accident du travail, après une enquête jugée "bâclée" par l'avocate. La Caisse nationale d'assurance maladie a demandé à la CPAM de ré-examiner ce cas, ce qui a donné lieu à cette nouvelle décision.
II – Renault prend acte de la décision
De son côté, Renault "prend acte" de cette décision de la Caisse primaire d'assurance-maladie, a indiqué une porte-parole du constructeur automobile.
Le deuxième cas de suicide, celui d'un technicien qui s'est noyé le 22 janvier aux abords du Technocentre, n'a pas été reconnu comme un accident du travail, a précisé le constructeur. Selon une source proche du dossier, cette décision résulte du fait que le corps avait été retrouvé aux limites du site et l'heure du décès n'étant pas précise, il pouvait se situer en dehors des horaires de travail.
Le troisième cas de suicide concerne un autre employé du technocentre qui s'est donné la mort à la mi-février. Raymond D., 38 ans, a été retrouvé mort chez lui à Saint-Cyr-l'Ecole. Il avait laissé un courrier dans lequel il expliquait son geste par ses difficultés au travail.
Mercredi 2 mai, lors de l'assemblée générale du groupe Renault, le PDG Carlos Ghosn a évoqué "des tensions objectivement très fortes" pour les ingénieurs du groupe, et appelé à "identifier les situations dans lesquelles nos collaborateurs sont seuls en face des difficultés".
III – Les risques «psycho-sociaux» pas assez pris en compte
Les risques «psycho-sociaux», stress ou dépression, qui conduisent parfois au suicide, sont insuffisamment pris en compte par les entreprises, ont récemment estimé des professionnels de santé à l'occasion de la Journée mondiale de la santé et de la sécurité au travail.
Les suicides de trois salariés du technocentre de Renault à Guyancourt (Yvelines) en quatre mois, ceux de quatre agents de la centrale EDF de Chinon en deux ans, ou encore plus récemment celui d'un ouvrier de PSA Peugeot-Citroën sur son lieu de travail à Mulhouse, ont mis sur le devant de la scène un phénomène qui existe depuis longtemps, souligne Dominique Chouanière, médecin épidémiologiste et chef du projet «stress au travail» à l'INRS (Institut national de Recherche et de Sécurité).
«Avant, les médias en parlaient moins, mais nous avions déjà ce type d'information, évoquant des cas de suicides répétitifs au sein d'entreprises», souligne-t-elle.
La France n'a pas de chiffres officiels sur le nombre de suicides liés au travail. «Rien que sur le nombre de suicides sur le lieu de travail, on devrait au moins avoir des données précises. Mais ce n'est pas le cas, car ces décès sont très faiblement déclarés en accident du travail», souligne Mme Chouanière.
Même constat pour Christian Larose, vice-président du Conseil économique et social (CES), qui «suit le problème depuis des années». Dans une étude réalisée à titre personnel, il a évalué «entre 300 et 400 cas par an» le nombre de suicides liée au travail.
Ce chiffre est certainement sous-évalué, estime-t-il, ce que confirme Mme Chouanière, qui se dit «effarée par la façon dont les entreprises dénient la part du travail responsable d'un suicide», imputant souvent le drame à une personnalité fragile du salarié.
Le suicide d'un salarié, mais aussi l'absentéisme, un turn-over important, un mal-être ambiant, ou des cas de violences, sont pourtant des signaux d'alerte d'une situation de travail très dégradée, qui demande une réponse d'urgence, souligne la chef de projet de l'INRS.
Selon l'OMS, la France est le troisième pays, derrière l'Ukraine et les États-Unis, où les dépressions liées au travail sont les plus nombreuses, souligne l'Union nationale des cliniques psychiatres privées (UNCPSY, 160 cliniques privées). Selon elle, «la prévention de la santé mentale au travail est encore balbutiante».
À l'occasion de la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, le Bureau international du travail (BIT) à Genève a estimé dans un rapport publié vendredi que deux millions deux cent mille personnes meurent chaque année dans le monde de maladies ou d'accidents liés au travail.
Sources : AFP, Usine Nouvelle, Cyberpresse
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