par La rédaction

La route comme symptôme (3 et fin)

 

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Lautomobile, phénomène social, accusée de différents maux, est avant tout un moyen de déplacement flexible, conçu pour être rapide et simple. Or, les autorités ont installé, depuis la crise pétrolière de 1973, des limitations de vitesse sur les routes hors agglomération. Même si en ville, on roule à 60 km/h depuis 1954, puis à 50 km/h dès 1990.

Les limitations de vitesse sur autoroutes en 1973 (110 puis 120 km/h) devaient être provisoires. Mais elles se sont installées. De mars à novembre 1974, on pouvait rouler à 140 km/h sur autoroute, 115 km/h sur voies expresses et 90 km/h sur les autres routes. Avant quen hiver 74, les limitations soient de 130 km/h et 110 km/h. La baisse de la vitesse sur chaussée mouillée à 110 km/h sur autoroute, 100 km/h sur voies expresses et 80 km/h sur route date de 1982. Des vitesses qui étaient régulièrement dépassées, mais il était possible de passer à travers les mailles du filet. Jusquà ce que les autorités resserrent la vis et installent des caméras automatiques.

Par la densité de population, la complexité des échanges et les risques encourus, il est normal, logique et indispensable de limiter la vitesse dans les zones citadines. Il nest donc pas question, ici, de critiquer le 50 km/h généralisé en agglomération et les limitations liées à une situation particulière, routière, géographique ou sociale. Par contre, faut-il croire aveuglément à ladage « vitesse = danger » sur les grands axes dégagés, notamment sur autoroutes hors agglomération ?

En France, il y a eu, en 2005, 5318 tués sur la route, dont 324 sur autoroute. Durant la même période, lAllemagne a déploré 5361 tués sur la route, dont 338 sur autoroute. Ces chiffres bruts doivent être pondérés. Ainsi, en France, on a compté pour 1 million dhabitants, 87 décès liés à un accident de la route, contre 65 pour lAllemagne. Concernant le tissu routier, lAllemagne compte 12.000 km dautoroutes dont 57 % sans limitation permanente, la France 11.000 km dont 67 % sont payantes et très bien entretenues. Le taux de gravité (tués pour 100 accidents) sur autoroutes françaises est de 6,25 contre 3,71 en Allemagne. Ce pays reprend des statistiques différenciées selon que la portion soit libre ou à vitesse limitée. On note que sur les axes sans limitation de vitesse, la gravité est de 4,07 contre 3,15 sur les parties avec restrictions.

Au niveau européen, on a la situation suivante (en fonction des chiffres disponibles) :

Nombre de tués pour 1 million d'habitants en 2005

Pays-Bas, 46

Suède, 49

Suisse, 55

Royaume-Uni, 55

Danemark, 61

Allemagne, 65

Finlande, 72

Irlande, 83

France métropolitaine, 87

Espagne, 88

Autriche, 93

Luxembourg, 100

Belgique, 104

Portugal, 104

République tchèque, 125

Hongrie, 127

Pologne, 143

Grèce, 144

Le graphique suivant montre également que le taux de mortalité a globalement diminué dans chaque pays entre 2001 et 2005. Y compris ceux qui ont adopté des politiques moins répressives, sauf en Grèce. Ce qui montre que ces résultats sont aussi liés à dautres facteurs, comme la sécurité passive et active des automobiles.

Bizarrement, il est difficile détablir des corrélations simples entre ces résultats et les vitesses maximales utilisées, le taux de répression, la densité de population ou les conditions climatiques. Disons que cest une difficile interpénétration de nombreux facteurs qui influencent les résultats de la mortalité routière. Il est donc réducteur de tout imputer à la seule vitesse, surtout sur autoroute. Mais je ne vais pas choisir la facilité pour démontrer cela avec le paradoxe du Montana.

Plus que la vitesse brute, cest celle inadaptée qui est dangereuse. Un conducteur est censé rester maître de son véhicule. Toutefois, il nest jamais à labri dune panne mécanique ou dun impondérable. Si on veut éliminer tous les facteurs risque, il faudrait limiter les voitures à une vitesse très réduite, à savoir 70 km/h hors agglomération et 30 km/h, voire moins, en ville. Les tests EuroNCAP, comme de nombreux crash tests, sont effectués à des vitesses de 50 km/h (latéral) à 64 km/h (frontal). Au-delà de ces limites, les garanties ne sont plus validées. Dès lors, la différence entre 130 et 140 km/h semble négligeable. Toutefois, ces vitesses sont choisies parce que lon considère quun automobiliste réagit à un danger et réduit au mieux sa vitesse dimpact en freinant. À condition de rester vigilant et de garder une distance suffisante de sécurité.

Le problème avec mon plaidoyer à la base de ce dossier est que beaucoup de gens ont directement fait lamalgame entre vitesse et chauffard. Il est évident quun chauffard va rouler vite. Mais celui qui roule vite est-il un forcément chauffard ? Cela dépend surtout de son état desprit et de son comportement global. Sil se met à foncer en ville, à coller son nez au pare-chocs arrière de ceux qui lempêchent de passer, de faire des dépassements hasardeux, de frôler les cyclistes, de ne pas ralentir à lapproche dusagers faibles ou de travaux, de rouler aussi vite sous la pluie que par temps sec, etc. Alors, là il devient un chauffard. Par contre, sil adopte le style de conduite responsable et raisonnable, il ne peut avoir ce qualificatif. Si on se déplace sur une autoroute allemande sans limitation de vitesse, on roule à une moyenne de 150 km/h. Les bolides à plus de 200 km/h sont finalement assez rares. Car la plupart des automobilistes allemands se savent incapables de le faire. Toutefois, ils restent vigilants en indiquant clairement leurs intentions et vérifiant leurs arrières avant dentamer un dépassement. Par contre, sur les zones limitées, on note un réel ralentissement de la vitesse moyenne. Malgré la présence dirréductibles obsédés du chrono. Il faut également signaler que la Polizei veille au grain sur ces portions limitées. Désireuses de diminuer le nombre de victimes sur la route, les autorités ont choisi comme arme principale la répression. Et ils présentent un bilan positif en corrélant la diminution des accidents et la présence de caméras. Si la corrélation mathématique est indéniable, cest un peu de lescroquerie en ce sens que cette méthode de répression crée un nouveau comportement à lapproche des zones surveillées par des robots. On fait gaffe ! Ceci dit, la caméra automatique ne pourra jamais juger utile de flasher celui qui roule à 100 km/h en pleine averse orageuse en prenant dénormes risques.

Ladministration allemande établit des statistiques très complètes. Ainsi, sur 1000 accidents, 674 sont imputables au conducteur. Ceux liés aux problèmes mécaniques sont dus aux 2/3 à des soucis de pneumatique (qui vérifie la pression toutes les semaines comme conseillé ?) et le tiers restant aux freins. Concernant les fautes de conduite en 2005, le bureau allemand indique que la vitesse inadaptée est impliquée dans 16,77 % des cas. Le non-respect des priorités concerne 14,54 % des cas et une distance insuffisante entre véhicule 11,57 %  des erreurs. De plus, 24 % des fautes ne sont pas clairement définies. La limitation de vitesse sur autoroute semble navoir quun effet limité sur la sécurité des usagers. Lidéal serait de réguler la circulation, et la vitesse, par des portiques comme le fait lAllemagne. Aux Pays-Bas, on nest moins vite surpris par un ralentissement grâce à des signalisations, assez nombreuses, qui limitent la vitesse en indiquant la raison. Bref, il faudrait arriver à un consensus européen pour des règles communes de code de la route. Au niveau des vitesses, le 50 km/h en agglomération doit être évidemment maintenu et contrôlé. De même, les zones 30 aux abords des écoles sont une voie à suivre, à condition de limiter leur application quà certaines heures ou via des affichages variables. Hors agglomération, sur petite route, le 90 km/h a sa raison dêtre, avec parfois des zones 70. Toutefois, certains axes pourraient être amenés, via signalisation, à 110 km/h. Les voies expresses pourraient passer à 130 km/h. Quant aux autoroutes, une vitesse libre serait difficile à faire accepter à lheure actuelle, surtout dun point de vue écologique. Par contre, si on prend compte des améliorations des voitures et de leur nocivité au fil des ans, une vitesse maximale sur autoroute de 160 km/h nest pas utopique de nos jours. À condition dinstaller des systèmes automatiques pour abaisser la limite lors de forte densité de circulation ou de conditions climatiques particulières. De plus, les rocades et les échangeurs pourraient être limités à des vitesses de 80 à 120 km/h en continu, en fonction de leur configuration. Enfin, les abords des travaux devraient être signalés différemment lorsque des hommes y travaillent ou non.

En conclusion, il est important de réfléchir sur les incidences des nombreuses restrictions imposées ces dernières années et la répression qui les suit. On semble entrer dans une ère de déplaisir. Range ta pipe, bouge au lieu de manger sucré, surtout ne mange pas salé, le gras cest pas bon, la viande cest dégueulasse, il ne faut pas dire ceci ou cela à la télé, ne roule pas à 140 km/h seul (ou presque) sur autoroute, etc. On est bien loin de la revendication soixante-huitarde « Il est interdit dinterdire ». Sans vouloir aller si loin, je constate que cette dérive réglementaire tente de camoufler un mal plus insidieux : le manque de respect, déducation et de tolérance. En préformatant les individus, on leur enlève cette part dindividualisme et de différences qui font la richesse de notre humanité. Au lieu dinterdire, apprenons aux gens à habiter et à vivre ensemble. En infantilisant les citoyens, ils finissent par perdre leur sens des responsabilités et du jugement. Au volant, cela donne des robots dans leur bon droit, hypnotisés et incapables de réagir en situation durgence.

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