Bientôt deux ans que MG Rover a mis la clé sous la porte et allez savoir pourquoi jen oublie de sortir mon mouchoir à lapproche de ce lacrymatoire anniversaire. Bien que nétant pas tout à fait insensible aux charmes troubles du cuir odoriférant, jéprouve toujours grand mal à saisir comment la firme au drakkar est parvenue à maintenir aussi longtemps la farce de la « Rolls du pauvre » ni comment certains, sans doute trompés par les miroirs déformants de la nostalgie, ont pu pleurer le constructeur de la Rover série 400...
On avait beau savoir ce moyen de transport aussi propice au raidissement des corps caverneux quun parcmètre automatique ou qu'un urinoir public, les chirurgiens plastiques de chez Rover, à défaut de posséder le même budget R&D que VW, mirent tout leur talent dillusionnistes à ériger leurs trop oubliables clones dHonda en derniers remparts du luxe made in England. Du moins tentèrent-ils d'y parvenir en parant leur série 400 modèle 1995 dun pastiche de radiateur dégoulinant de chrome aussi seyant quun tutu rose à la taille de Camilla Parker-Bowles.
Sur le volet arrière, les matricules « 414i » ou « 416i » apposés en logotypes chromés semblaient faire écho aux « 316i » et autres « 520i » si chers à BMW, lequel voyait encore en Rover le complément idéal (!) à son arsenal de fines lames. Vous avez dit BMW à langlaise ? Avant tout, cest une Rover, fanfaronnait alors la pub, prodigieusement confiante en l'image de son produit à une époque où quelques résidus dAustin Mini, Metro et break Montego écumaient toujours la gamme Rover.
En marketing aussi, la foi déplace les montagnes. Je me souviens de ces prestigieux catalogues que les concessionnaires se gardaient bien de distribuer aux simples empileurs de brochures. Sur papier glacé, en grand format, les éclairages sophistiqués illuminaient de lueurs fauves cuirs crémeux et veinures boisées tandis quau détour dune page à fort grammage apparaissait un vieil artisan lissant la ronce de noyer de ses mains amoureuses. Devant une telle orgie de raffinement, on nimaginait pas monter dans une Rover série 400 sans sêtre préalablement muni de patins
Hélas, avec ou sans patin, il était difficile de fermer les yeux sur la consternante banalité dun poste de conduite directement arraché à la japoniaiserie ordinaire où plastocs durs et vis apparentes contribuaient puissamment, on s'en doute, à l'incommensurable standing de la voiture. Il nen fallait pas moins un flegme à toute épreuve sinon une anglomanie inconditionnelle pour subir les rudesses dune suspension peu respectueuses des fessiers délicats de même que les claquements outrageux dun vieux Diesel Perkins bien peu phase avec le luxe, le calme et la volupté dun authentique paquebot anglais.
Relax prétendait sans sourciller la publicité outre-Manche. Plus drôle, en 1999, la nouvelle dénomination de Rover 45 annonçait lalignement sur le retro design de la pompeuse 75. Puisant à coup doptiques circulaires et de couches de chrome supplémentaires dans tout ce que la Grande Bretagne compte de clichés automobiles, notre anglaise de composition se fit précieuse et surtout ridicule. On connaît la suite, le désengagement de BMW en 2000 et la cession des indésirables marques MG et Rover au consortium Phoenix pour une livre symbolique...
En 2001, les diseurs de bonne aventure en charge des derniers vestiges de l'empire British Leyland tentèrent un nouveau coup de bluff en s'adonnant au tuning sauvage de la gamme Rover avec le label MG comme caution morale aux extravagances esthétiques les plus douteuses. Sous des dehors à enflammer boutonneux en rut et ados attardés, notre mutante rebaptisée MG ZS joua aux bêtes de course façon Subaru. Et qu'importe l'absence de transmission intégrale et de palmarès en rallye, il fallait bien donner aux journaleux de quoi remplir leurs feuilles de chou à défaut de pouvoir financer une remplaçante attendue à corps et à cris par le dernier carré de fidèles pas encore incontinents.
Léchec dun premier rapprochement entre MG Rover et Brillance en 2002 prolongea encore cette pathétique course en avant et la descente aux enfers dune part de marché quaucune vraie nouveauté n'était en mesure de raviver.
Encore présente dans le top ten des immatriculations britanniques en 2000, la Rover 45 n'occupait plus que la trente-neuvième place trois ans plus tard, bien loin derrière le gratin du marché européen. Même les Anglais n'en voulaient plus...
A ce stade de désespérance, ne parlons plus de voiture mais de tragédie ambulante. Alors que MG Rover passait du stade d'homme malade à celui de nain agonisant, il fallut une fois de plus se résoudre à faire du neuf avec du vieux, un art dont BLMC et ses avatars se sont faits une spécialité en trente ans de déchéance. En 2004, les "nouvelles" Rover 45 et MG ZS, tournant le dos aux mièvreries passéistes, adoptaient des optiques inédites façon BMW E46 pour se projeter tant bien que mal dans un avenir plus qu'incertain. Une dernière fois, leurs badges Union Jack sollicitaient fibre patriotique et indulgence anglophile. Leur mission : tenir, tenir, encore et toujours tenir, dans l'attente désespérée qu'un accord avec les Chinois de SAIC n'aboutisse in extremis.
Touchant mais inutile. Les Chinois, fins stratèges, temporisèrent en attendant sagement le naufrage puis la liquidation de MG Rover pour sen disputer à moindre coût les décombres. Le rideau tomba brutalement en avril 2005. Dans la douleur des licenciements par centaines, lon trouva quelques excités pour attribuer la responsabilité de la catastrophe aux violents réquisitoires quun certain Jeremy Clarkson fit de la 45.
Un affront à la mesure de l'empreinte indélébile qu'aura failli laisser cette Rover dans l'histoire de l'automobile insulaire, CQFD.