Voici la seconde et dernière partie de notre entretien avec Benoît Tréluyer, homme fort de la saison de sport auto 2006 au Japon: après nous avoir expliqué les raisons de sa présence sur les circuits japonais et son appréciation de son équipe et des fans, il nous éclaire cette fois sur ses rapports avec les autres pilotes, sa vie de pilote d'usine, sa passion pour les 24 heures du Mans, ses projets, et nous livre son avis très autorisé sur le circuit qui accueillera le Grand Prix du Japon 2007, le Fuji Speedway. Benoît, c'est à toi.
LBA: Il y a un certain nombre de pilotes étrangers dans les disciplines où tu cours, y-a-t-il un esprit de groupe parmi vous?
BT: Oui et non. J'ai évidemment de très bons amis parmi les pilotes étrangers, Sébastien Philippe, Marco Apicella, André Lotterer... Mais j'ai aussi de bonnes relations avec certains pilotes japonais. Le problème est qu'ils ne viennent pas toujours vers moi à cause de problèmes, réels ou imaginés, de communication.
LBA: Tu parles japonais ?
BT: Pas aussi bien que je voudrais, mais assez pour la vie quotidienne. A l'intérieur du team, c'est plutôt l'anglais, mais j'ai bien l'intention de progresser en japonais.
LBA: Vu d'Europe, on ne connait pas bien les pilotes japonais à part ceux qui viennent en F1, que pense-tu des pilotes japonais contre qui tu cours ?
BT: C'est difficile de comparer, il y a une mentalité assez différente. La culture et l'éducation ont tendance à inihiber les gens et les empêcher de prendre des initiatives. Si tu prends une initiative et que tu te rates, c'est très mal vu. Même si tu réussis: lors de ma première saison de F3, j'avais de gros problèmes avec mon ingénieur, qui ne tenait jamais compte de mes remarques. Un week-end j'en ai eu assez, et je lui ai dit d'aller voir ailleurs si j'y étais et j'ai réglé l'auto moi-même avec mes mécaniciens: résultat, je fais pole, record du tour et victoire. Et bien le patron de l'écurie m'a quand même enguirlandé! Ca n'empêche pas qu'il y ait des pilotes très bons. Le meilleur pour moi est Satoshi Motoyama. Il est rapide, intelligent et il sait fédérer les énergies autour de lui. Il a une grosse influence chez Nissan.
LBA: Comment explique tu le cas Yuji Ide qui s'est complétement effondré en F1 ? Il a été ton équipier ici et ne paraissait pourtant pas si lent ?
BT: Quand j'ai appris qu'il allait en F1, j'estimais qu'il serait aussi vite que Sato. C'est surprenant. Je pense qu'il a succombé au cirque médiatique de la F1, les photographes, le vedettariat, il ne touchait plus terre et il a oublié qu'il fallait piloter. C'est très dur pour un pilote de se relever d'un tel échec. Tu perds confiance en toi. La confiance c'est fondamental pour un pilote de course. Si tu n'es plus sûr de toi, ce n'est pas la peine de monter dans la voiture.
La rencontre avec le public, un côté sympathique du SuperGT
LBA: Tu est content de ta situation actuelle ?
BT: Très heureux d'être ici. Il n'y a rien de comparable en Europe, à part peut-être le DTM. En SuperGT, il y a trois constructeurs engagés qui font des efforts considérables, les voitures sont de très haut niveau techniquement, le public est super...
LBA: Tu fais maintenant les deux championnats de front, monoplace et GT. Tu arrives à t'y retrouver ?
BT: En fait, c'est très complémentaire. La GT c'est beaucoup de stratégie, et du développement technique sur toute l'année, et la monoplace, c'est un travail sur les réglages et des courses de sprint. Bon, c'est vrai que si tu sautes d'une voiture dans l'autre, il y a un instant où tu es dérouté, mais tu passes la première et c'est fini, tu retrouves immédiatement les automatismes.
Et puis, même si j'ai beaucoup de week-ends sur la piste, je ne vais pas me plaindre, c'est une chance considérable de pouvoir faire ce métier.
LBA: En dehors de la compétition, tu fais du travail de développement pour Nissan ?
BT: C'est possible, mon contrat le prévoit mais jusqu'à présent je n'ai pas eu à en faire, à part sur la nouvelle voiture de course en début de saison. Ca ne me dérangerait pas, j'aime bien ça. Autrefois j'ai eu l'occasion de faire ce type de travail pour Audi, pour la mise au point de l'ESP. il fallait prendre la voiture et la seule consigne c'est qu'il fallait attaquer au maximum en essayant de passer les limites du système. C'était fun !
LBA: Sans vouloir te faire avouer des secrets, Nissan a des projets en cours ?
BT: Rien de concret à court terme. Quand j'ai lu les rumeurs à propos de Nissan en F1, bien sûr, j'ai sauté dans ma voiture et je suis parti les voir pour leur demander ce qu'il en était. Ils y réfléchissent, ils y a eu des gens envoyés sur les courses pour recueillir des informations, mais ça m'étonnerait vraiment que ce soit en 2008. Je ne vois pas Nissan entrer avec un Renault rebadgé. Ils aiment bien faire les choses par eux-mêmes, c'est leur fierté. Pour le SuperGT, on a eu quelques soucis de performance cette année avec le moteur. Ils auraient pu faire appel à des compétences externes, mais non, ils ont préfèré s'accrocher, et travailler dessus jusqu'à ce que les problèmes soient résolus.
LBA: Et en endurance ? Les Japonais aiment le Mans, ils ne veulent pas y revenir ?
BT: Je ne connais pas les raisons exactes, car ils aiment le Mans, mais je pense quavec la réglementation actuelle Nissan n'a pas d'intérêt à venir dans ces conditions où le réglement est fait pour les diesels. Il faudrait que l'ACO trouve un moyen de mieux gérer les équivalences entre les différents types de motorisation.
LBA: Et toi personnellement, tu comptes faire le Mans l'année prochaine ?
BT: Je ne sais pas encore, ça va dépendre de Playstation, le sponsor. J'adore cette course. C'est vraiment particulier. Quand on te réveille à 3 heures du matin, pour que tu ailles rouler à 340 km/h dans le noir des Hunaudières, tu te dis, "Mais qu'est-ce que je fais là", et puis une fois dans l'auto c'est magique. Tu peux te repérer sur le circuit avec les odeurs ! Dans tel virage tu as les odeurs de merguez, dans un autre tu sens la végétation... Il n'y a aucune autre course comme celle-là. La première fois où j'ai fait le Mans, c'était sur la Viper de l'équipe de France FFSA en 2002. J'ai tenu le volant quelque chose comme onze heures en tout. Ca reste un de mes meilleurs souvenirs.
LBA: Où en es tu avec la F1 ?
BT: On est en contact avec Toro Rosso pour un test, mais à trente ans mon âge ne joue pas en ma faveur, c'est évident. On va voir.
LBA: A ce propos, que penses-tu du nouveau tracé du Fuji Speedway, qui va accueillir la F1 pour le Grand Prix du Japon cette année ?
BT: Mmmm... J'ai du mal à me faire plaisir sur le nouveau tracé. La première partie du circuit, qui n'a pas trop changé, ça va, mais la partie remaniée avant de revenir sur la ligne droite est très technique. Or, sur ce circuit la ligne droite est tellement longue que tu es obligé d'en tenir compte et d'enlever le maximum d'appuis, et tu n'en as plus assez pour le reste du tracé. J'ai pu tourner avec la voiture réglée pour Suzuka, et je me suis régalé, mais c'est beaucoup trop pénalisant dans la ligne droite. On verra comment s'en sortiront les F1.
Merci Benoît. On continuera de suivre tes performances dans les courses de SuperGT et de Formula Nippon l'année prochaine, ainsi que celles des autres Français du Soleil Levant que je m'efforcerai de vous faire mieux connaître en 2007.
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Rencontre avec Benoît Tréluyer, champion expatrié, 1ère partie